La Guerre de 14
les originaux en 9 volumes :
VOLUME 1
VOLUME 2
VOLUME 3
VOLUME 4
VOLUME 5
VOLUME 6
VOLUME 7
VOLUME 8
VOLUME 9
Notes de Guerre
L'histoire de la famille à Roubaix durant la Grande Guerre
Histoire locale
Jusqu’au 16 juillet la situation d’ensemble normale. Maxime part de Locre en laissant ses affaires qu’il doit reprendre le dimanche suivant 19. Par suites de circonstances diverses il laisse encore ses effets le 19, comptant les emporter le 26.
Le 26 il ne vient pas, la caserne est consignée, les discussions diplomatiques entre Serbie-Autriche, d’une part, Autriche et Russie d’autre part, Allemagne et Russie, Angleterre et France avec Allemagne-Autriche semblent bien confuses d’abord. Les puissances jouent aux petits papiers et les réponses ne correspondent jamais aux questions.
Je reste ce dimanche 26 à Roubaix avec Yvonne, marraine et Christian qui doit être opéré le lendemain par Monsieur Lavrand : Les enfants, qui ne se consolaient pas de perdre un jour de leur chère villégiature sont partis à Locre sous la surveillance de Jean et sont servis par Madeleine.
Le mardi 28 juillet, Yvonne part pour Locre.
Jeudi 30 en allant au bureau le matin à 7 heures je rencontre des facteurs qui portent des ordres de mobilisation aux spécialisés : charrons, selliers etc…..
Vendredi 31 Yvonne revient de Locre avec Mademoiselle Agnès Ghestem. La frontière est gardée, les voitures et les vélos ne sortent plus, comme nous avons la voiture du marchand de lapins on nous laisse passer mais Michel est obligé de reconduire le vélo et Jean monte dans la voiture pour aller aux nouvelles et rapporter un journal à la Colonie.
En chemin de fer nous rencontrons un mécanicien aviateur qui a reçu la veille au soir l’ordre de se rendre à Liège avec son aéroplane, il va dédouaner son appareil et se tourmente car il doit être à son poste pour 7 heures le soir.
Les nouvelles des journaux sont si alarmantes que marraine se décide à partir le jour même au train de 4 heures 07 ; c’est une séparation émue, cette pauvre Solange meurt d’inquiétude elle voudrait retourner à son pays ; Marraine compte enlever son argent qui est à la Société Générale, si rien de nouveau ne survient elle reviendra…
1914 samedi 1er août. Yvonne part pour Dunkerque, elle revient le soir à 10 Heures et rentre par le Mongy alors que j’étais parti pour l’attendre à la gare. Son voyage se résume ainsi :
Partie à 1heure elle dépose Christian à Bailleul et arrive à Dunkerque à 4 heures ayant fait le voyage avec madame Faivre qui, arrivée de Gérardmer à midi allait à Gravelines porter de l’argent à son fils Daniel.
Elle court au domicile de Maxime où elle trouve deux braves gens qui lui disent qu’il vient de partir pour la caserne après leur avoir fait ses adieux.
La jeune fille de la maison l’accompagne à la caserne ou une foule énorme est massée attendant le départ du 110e.
Yvonne entre dans la cour et demande le soldat de Laubier au sergent de garde. Pour l’attendre, elle entre dans la caserne et se tient près de deux capitaines, l’un d’eux s’informe et fait chercher Maxime.
Entrevue très émue mais très digne, puis on sonne le rassemblement. Le capitaine fait partir Maxime, on n’attendait plus que lui et invite Yvonne à rester pour le défilé.
Comme tous les rangs semblent pareils le capitaine lui indique Maxime qui en passant lui lance : « Au revoir maman, embrasse papa »…. et ils partent. En attendant le train Yvonne fait un tour en ville ; le tocsin sonne, l’ordre de mobilisation vient d’arriver, le canon tonne pour annoncer la fermeture du port, les églises regorgent de monde, devant chaque confessionnal il y a dix et jusqu’à vingt soldats et officiers, il y a tellement de bougies devant la statue de la Sainte Vierge qu’on les met par terre.
Brouhaha, bousculade, les marchands en plein vent ramassent leurs éventaires craignant le maraudage. La plage se vide les gens sont affolés.
À la gare bousculades inouïes, train archi-comble, dans leur hâte des baigneurs sont partis, sortant de l’eau et ils changent de costume pendant le voyage, on ne peut se figurer la quantité de colis à la main : une famille en transportent jusqu’à 17, c’est une confusion inexprimable.
Nombreux sont les compartiments ayant 14 voyageurs.
J’ai passé la journée au Bureau, déjeuné chez les Craveri et dîné chez les Déchenaux. À 9 heures j’étais à la gare où j’ai attendu vainement jusqu’à 10 Heures 1/2, en rentrant j’ai trouvé Yvonne revenue par le Mongy.
Dimanche 2 août, premier jour de la mobilisation.
Yvonne part de bonheur pour Locre où elle va chercher les enfants.
Pour ma part, je reste à la maison. J’assiste à une effervescence considérable du peuple. On se demandait avec anxiété si les socialistes n’allaient pas manifester, mais si dans la matinée quelques discussions surgissent entre peuple et bourgeois elles se calment rapidement. L’après-midi le mot d’ordre a dû être donné car il y a unanimité dans le patriotisme.
Déjeuné chez les Craveri. L’après-midi nous restons au Bureau d’où nous contemplons la foule. Le soir au moment de partir (7 Heures 1/2) nous voyons arriver Yvonne en voiture avec François et les bagages qu’elle a rapportés.
Y. Partie par le tram Mongy je passe en arrivant à Lille chez Monsieur Ghestem que je trouve dans un état d’abattement incroyable. Toute sa famille, sa femme ses enfants, Tante Loulou, Tante Agnès, revenue de Locre la veille était repartie pour Calai-Wissant, un colonel de leurs amis leur ayant affirmé que Lille était la ville la plus exposée de toute la France.
J’arrive à Bailleul à 11 Heures et là le Père Gourdant attelle un vieux cheval et me conduit jusqu’à Locre, jusqu’à ma maison au grand étonnement des Bailleulois et des Belges. En chemin il me raconte que la veille il a été embrasser son fils, artilleur à Douai et qu’il a offert ses services au Colonel. L’enthousiasme de la caserne l’avait rempli d’espérance.
Je trouve la maison dans un état affreux, les enfants en tenue de campagne, et Madeleine complètement affolée. Je lui offre de rester à Locre, son peu de sang-froid ne me présageant rien de bon ; elle va demander conseil à sa famille et nous nous mettons à table de : bœuf pas cuit, bouillon comme de l’eau sale, plus de pain….. en un quart d’heure c’est expédié.
Je vais avec jean à la maison communale voir les communications par Kimmel tout cela est si difficile, représentant des 5 et 6 changements de train et tram pour n’arriver qu’à 10 Heures du soir que je me décide à faire l’impossible pour passer par Bailleul. Le dernier train est à 4 heures.
Je vais dire au revoir au Curé qui me reçoit chaleureusement, je change chez Monsieur Six quatre cent francs de billets en pièces de cent sous (quel poids) et je rentre à la maison.
Là je confectionne pour chacun deux paquets… Je prends les violons, les capuchons… dans le grand panier je mets la viande de la semaine plus trois poulets apportés par Euphrasie. Tout cela fait 18 colis.
Alcime part sur la bicyclette pour me chercher une voiture qui m’attendra à la frontière ; Madeleine va chercher Henri qui attelle une petite voiture à un énorme cheval, il a l’autorisation de me conduire jusqu’à l’octroi de Bailleul.
Jean, Christian, Michel partent à pied par un vent fou.
Arrivée à l’octroi je mets tous les colis sur la route contre le trottoir du « Comte géant » et j’attends sur le trottoir avec François.
Il faisait un vent déchaîné et la frayeur de manquer le train de 4 Heures, qui était le dernier train, me mettez la mort dans l’âme, quelle heure j’ai passée là. Enfin le cocher apparaît, je mets tous mes paquets, François et j’arrive sans incident à Bailleul.
Nous nous passons dans un wagon où l’enthousiasme était général ; à Armentières le passage à niveau était gardé par un prêtre ayant un képi et un ceinturon pour tout uniforme.
À Fives, arrêt prolongé puis tamponnement par un train venu derrière : le gros monsieur, qui estimait qu’en 17 jours on aurait réduit les allemands à néant, et qui avait laissé à cet effet ses lignes de pêche toutes montées dans sa maisonnette du bord de la Lys, ce gros Monsieur roule par terre et se retrouve sous la banquette ; je me fais très mal à la jambe et François se meurtrit la figure.
Arrivée à Lille à 6 heures moins 10.
L’aspect de la gare est inoubliable. Tout est occupé militairement : sur toutes les lignes des trains prêts à partir dans la direction de Nancy, d’Hirson, de Maubeuge, partout des officiers et des réservistes, paquets en main cherchant leurs trains.
Un Capitaine m’aborde d’un air furieux et me dit : « Non, mais vous ne voyez pas qu’il est 6 Heures, il faut quitter la Gare, vous pourrez bien gagner Roubaix à pied ».
Comme j’avais vu des centaines de flamands qui, sac bleu au dos, faucille emmanchée d’un bouchon revenaient du Centre de la France, tous groupés ils attendaient un train pour la Belgique et Tourcoing : je me mets dans un coin et je prends patience. Si à 8 heures je n’avais pas eu de train j’aurais mis mon fourbi chez les Ghestem et j’aurais été à pied. Enfin à 7 heures on forme un train sur la dernière voie à gauche. On se charge des bagages et on se précipite.
Les braves flamands se mettent tous dans le train en partance pour Nancy, il faut tous les jurons des officiers pour les faire déloger de ce long train qui les avait séduits ils se tassent dans les cinq voitures du nôtre où nous nous sommes installés dans le seul compartiment de I° ; un quart d’heure après nous étions à Roubaix….. j’aurais embrassé le sol.
G. J’étais sur le point de retourner chez les Craveri pour souper, nous venions de dire : ils n’arriveront pas aujourd’hui quand la voiture les contenant s’est arrêtée devant la porte.
Nous nous sommes rendus rue H. Bossut pour déposer les paquets, puis Bd de Cambrai pour souper, monsieur Craveri ayant insisté d’une façon trop aimable pour que nous puissions lui refuser.
Lundi 3 août.
La messe est dite à 4 heures 1/2 il y a une affluence extraordinaire. Dès 6 heures un mouvement se dessine, les premiers mobilisés doivent partir : les uns ont des trains à la gare de Roubaix, les autres à la Madeleine et à Lille.
Chacun sait manifestement son affaire et il n’y a aucune hésitation. Le peuple est magnifique de calme, de confiance et de courage. Des milliers de gens se séparent, pour ne plus se revoir peut-être et c’est à peine si l’on voit le coin d’un tablier essuyer furtivement une larme. Tous prennent d’assaut les tramway de Lille, dès que les Mongy arrivent on grimpe par toutes les baies, par les fenêtres, par-dessus les balustrades. Les lazzis, les rires, la Marseillaise se font entendre, des centaines de voitures, des chars à banc, tombereaux, bélandres et calandres passent remplis de soldats venant des communes voisines.
De Maxime nous ne savons rien… la journée se passe ainsi au milieu des va-et-vient. Dans la journée je vois passer quelques socialistes notoires qui avaient manifesté contre la guerre et la Patrie, on les emmène prisonniers à Lille en auto… heureusement pour eux car la foule veut les écharper.
L’annonce de la déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie n’étonne personne.
4 août.
Suite des départs de mobilisation, même enthousiasme. Nous apprenons que les Allemands ont violé les territoires français à Petit-Croix. Puis la violation du Luxembourg, il est évident que la guerre est inévitable.
Dans l’après-midi le fils Aubourg qui doit rejoindre Dunkerque se charge de recommander à Maxime de nous télégraphier à toute occasion. Le lendemain nous recevons de lui : « Vais très bien, baisers. Maxime. »
J’ai congédié Monsieur Lebrun, mon dessinateur, pour toute la durée de la guerre. Je dois ménager mes ressources car pour tout bien tout potage nous avons mille francs. Je sais bien que la Chambre de Commerce me doit de l’argent, que Louis Watine a une d’être sérieuse chez moi, dans les circonstances on ne sait pas, malgré la meilleure volonté du monde, me donner satisfaction. Marraine m’écrit qu’elle met mille francs à ma disposition, mais on ne me les enverra que sur demande écrite.
J’ai oublié de dire que les banques ont été autorisées à ne délivrer que 5 % des dépôts…
4 août. Suite des départs des mobilisés ; même empressement, même enthousiasme à se rendre à son poste. Nous nous demandons ce qu’est devenu Maxime.
Le Journal de Roubaix annonce que Monsieur Schoen a demandé ses passe-ports le voilà parti et le masque est levé.
Les soldats du 43e sont partis cette nuit à minuit, dit-on ; on s’interroge anxieusement sur ce que va faire l’Angleterre, on dit bien qu’elle mobilise sa flotte mais elle nous a si peu habitués à compter sur elle que la majorité de nos concitoyens reste sceptique.
5 août. C’est l’arrêt complet des affaires, on se tourne les pouces. Nous restons au bureau toute la journée à regarder le va-et-vient sur la grande place.
Nous commençons un recueil de coupures de journaux afin d’avoir l’historique de la guerre non pas comme elle a été, mais comme nous l’avons vue.
Nous recevons de Maxime une lettre qui nous fait insensible plaisir.
Jeudi 6 août. Y. Je mets tous les enfants à faire le ménage afin de me soulager un peu. Tous cirent, frottent, astiquent avec un entrain merveilleux. Michel a la charge des chaises, Christian a la charge de l’escalier et il y emploie le premier jour deux heures, c’est un succès, personne n’en peut approcher ; Alcime s’occupe du salon et Jean soigne la bibliothèque et la grande table, ma cire diminue. C’est une envolée de chiffon et une bonne humeur qui réconforte.
L’après-midi on va au bureau où le goûter se compose d’un morceau de pain de fantaisie et la boisson de coco. Je raccommode des choses inraccommodables, mon linge et à Locre… Il faut attendre sans rien acheter.
Ce soir, en sortant du Salut nous voyons un monsieur qui du haut du balcon de la mairie lit une dépêche, bousculade, Jean finit par revenir accompagné de Monsieur Dupin : la dépêche officielle annonce que nous avons pris Mulhouse.
Explosion de joie, dès le lendemain nous pavoisons à la maison.
L’enthousiasme des Alsaciens comme Madame Werck, Joseph ne connaît plus de bornes. Tous font des petits drapeaux tricolores qu’ils iront après la guerre planter sur la tombe de leurs morts.
Vendredi 7.
On met au bureau tous les drapeaux on y ajoute des drapeaux belges… toute la ville et pavoisée ; journée d’espérance, on s’attend à apprendre la délivrance de Liège. Je transporte partout Te Deum afin d’être sure de le pouvoir suivre.
Après le salut, où il y a une influence énorme, on joue la Brabançonne.
Samedi 8. Rien de nouveau.
Dimanche 9 août. Les Craveri déjeunent à la maison ; nous passons la journée au Bureau et le soir, de source certaine, nous apprenons que le 110e a passé pendant la nuit à Rouge-Barre et y a séjourné pendant une heure… que de regrets et combien nous aurions été volontiers embrasser notre Fils bien-aimé.
Lundi 10 août. Fête de papa, que de souvenirs….
En revenant du Bureau, où nous avions été le matin, nous rencontrons l’abbé Wattiez : il est dans un état de désolation complet. Il a vu les forteresses allemandes, les forces allemandes, leurs manœuvres, leurs canons etc… et pour lui nous sommes perdus, écrasés, anéantis. Il est voûté, il a vieilli de dix ans.
Georges le secoue, le réconforte, lui montre la force de nos de nos alliances, la discipline de nos soldats, l’union de toutes les classes… rien n’y fait c’est un désespéré.
Mardi 11.
On commence partout l’installation de la Croix Rouge. On prend les lits, les couvertures, le linge que les particuliers mettent à la disposition des hôpitaux et on transporte tout à « de Ségur » ; Jean, Alcime et Christian s’y emploient de leur mieux. Christian tire la baladeuse toute la journée avec Louis Watinne fils, mais auparavant il vient me demander s’il peut faire ce travail (qui lui semble honteux) et en tout cas s’il peut le faire avec la casquette du collège. C’est un enfant qui a le sentiment de sa dignité.
Mercredi 12. Les enfants reçoivent leurs insignes, ils les mettent à leurs boutonnières ; Jean se confectionne un béret de brancardier ; il fait une pluie diluvienne.
Le soir on apprend que deux forts de Liège sont tombés.
Jeudi 13. La réquisition des chevaux et des voitures s’opère, elle a lieu à l’hippodrome ; tous les soirs vers 5 heures un long convoi s’organise et quitte à 6 heures pour la direction de Lille. Les voitures représentent des dessins très amusant représentant, l’empereur Guillaume attaché à une potence, un soldat français coupant en deux un soldat allemand etc…
Les bruits courent plus optimistes les uns que les autres : dix mille anglais sont arrivés à Lille, on en aura demain dans toutes les maisons, l’hippodrome est disposé pour les recevoir etc…
Vendredi 14
Journée d’inquiétude : les nouvelles sont si vagues qu’on les pressent mauvaises.
Samedi 15 août. Les églises regorgent de monde. Aucune lettre de soldat ne parvient ce qui met de l’angoisse dans tous les cœurs. Où est notre Maxime ?
Dimanche 16. Les enfants sont occupés à la Croix-Rouge, l’après-midi et employée au bureau à faire des bandes de toile pour les blessés ; vers le soir clameurs dans la rue de la Gare, ce sont deux officiers et deux soldats belges qui descendent d’une auto et montent à la mairie.
À leur sortie ils sont acclamés, on les conduit au Grand Hôtel où on leur chante la Brabançonne puis la Marseillaise ; on leur offre une gerbe de fleurs puis on les fait dîner à la terrasse à la grande joie de chacun.
Lundi 17 Journaux insignifiants, on se rend compte des progrès de l’ennemi en Belgique. L’Echo du Nord publie des cartes où sont indiqués les forts de nos frontières. Là dit-on, ils seront arrêtés car tout est merveilleusement prêt, Dieu le Veuille…
Mardi 18. Rien à signaler, les ambulances s’organisent : Georges est nommé caporal brancardier. Après le souper il va à la gare faire des répétitions d’arrivage de blessés, Jean et moi le conduisons à la Place où nous lisons le communiqué du soir affiché à la Mairie. Personne à la Place, personne dans les rues… C’est navrant. Sans les événements actuels nous partirions pour Lourdes demain matin.
Mardi 19 Georges à midi rentre consterné. On vient d’apprendre la mort de Paul et d’Henri Toulemonde. Joseph Motte (le fils d’Edouard Motte) est très grièvement blessé. Il a eu des balles dans le ventre et n’a pu être ramassé que le lendemain pour être transporté chez les P.P.Prémontés.
On dit que ce bataillon a été sacrifié. Arrivé le premier à marches forcées il a dû tenir sans être appuyé par l’artillerie. On dit aussi que ce bataillon si décimé s’était lancé à l’assaut de la Citadelle pour y arracher le drapeau allemand………. Le pauvre Paul Toulemonde a été tué sur le coup d’une balle dans la tête qu’il a reçue en se baissant pour ramasser son Commandant. Henry Toulemonde a eu la cuisse fracassée et n’est mort que le soir. Quelle tristesse éternelle pour ces pauvres parents….
L’après-midi Emma peut enfin se faire inscrire à la mairie comme Belge et obtenir un permis de séjour. Il y a à ces bureaux une affluence incroyable.
Jeudi 20 journée pénible : le réveil du Nord montre le recul de notre front. Le plan du Général Joffre semble lourd, pénible à supporter. On en discute avec âpreté, le nombre des pessimistes augmente.
La vie matérielle reste facile : jamais les légumes du pays n’ont été si bon marché mais il n’y a aucune variété, il faut se contenter de pois de sucre et de pommes de terre : il n’y a ni chou-fleurs, ni tomates, ni fruits.
Le soir nous rencontrons A d’Hoilly en sergent. Son frère est encore à Lille où les soldats s’énervent, lui il est dans le service de l’intendance où tout se passe très bien. Il se fait chaque jour sous son contrôle 15000 pains de 4 livres.
Les farines sont nombreuses et de très belle qualité. Tout fonctionne bien.
Vendredi 21. Il n’y a rien de nouveau… il pleut… Bien des personnes retirent leur drapeau. On annonce que les hulans sont entrés dans Bruxelles, cette nouvelle et très discutée.
Le soir vivre rumeur, on veut dévaliser le magasin de Callenstein, le grand bijoutier, dont le frère, officier supérieur en activité vient, dit-on d’être fusillé à Lille pour trahison. On ne peut rien savoir sur cette nouvelle sensationnelle. De Callenstein pavoise et met sur les glaces de son magasin ses états de service, il a été lieutenant de réserve, son père était capitaine, on ne peut savoir la vérité sur cet incident pénible.
Dans l’après-midi ordre est donné de démonter toutes les plaques émaillées portant des réclames de bouillon Kub. Toutes porteent au dos des signes conventionnels, connu des Allemands : leur couleur, leur forme tout est une indication. Ceci explique pourquoi certaines épiceries avaient reçu de grandes plaques tandis que d’autres, plus importantes n’en n’avaient que de petites. Quelle organisation en tout cela. Ces petits faits donnent bien à réfléchir et fournissent bien des motifs d’appréhension.
Samedi 22. Le soir il est arrivé quelques régiments… nous n’avons pas fini le souper, nous avons couru jusqu’à la rue de Lille « pour voir ».
Soldats débraillés, peu nombreux… comme il faisait étouffant nous nous sommes assis au retour sur le Boulevard. On entendait, d’une façon continue, les locomotives belges qu’on évacuait sur la France. Cela a duré toute la nuit. Une locomotive en tire 17 autres. Toute la nuit le bruit se continue.
Dimanche 23. La réunion se fait à la maison, c’est l’anniversaire de notre mariage… nous devrions être à Lourdes… quel changement en tout.
Sitôt le déjeuner nous partons pour Wasquehal où campent des artilleurs. Il fait extrêmement chaud, mais nous sommes plein d’entrain, soutenus par le bonheur de voir nos chers soldats.
Au « Pavé bleu » on les aperçoit dans une ferme ; on entre, on voit les chevaux bien rangés et dans la prairie nos canons de 75 avec leurs caissons.
Ces hommes sont là depuis la veille, ils sont prêts à partir. Il y a énormément de personnes pour les regarder, les admirer. Nous continuons sur la Place de Wasquehal où se trouve campé un régiment de cuirassiers. Le colonel près du perron de la mairie donne des ordres, les lieutenants vont et viennent affairés. On amène une grande voiture de couvertures grises destinées aux hommes qu’ils vont coucher là.
Puis une estafette apporte des ordres : quand le Colonel a pris connaissance du pli il appelle successivement tous les officiers qui se dispersent.
Nous regardons tout cela avec intérêt. En revenant nous passons devant l’usine Hannart, c’est là qu’est logé le détachement qui le matin a arrêté une patrouille de hulans, dirigée par le prince de Lipp. Les enfants avaient vu les chevaux conduits à la mairie, ils avaient surtout admiré le magnifique casque du Prince. Casque d’argent avec l’aigle impérial en or volant les ailes ouvertes sur le sommet de casque : les armes posées la partie antérieure.
Dedans, paraît-il, il y avait 35.000 francs destinés à la grande noce qui devait avoir lieu le 15 août à Paris.
Nous reprenons le tram… J’y attrape la bronchite…
Lundi 24. Jamais le souvenir de cette journée ne s’effacera de notre mémoire, je crois que tout a concouru à la rendre terrible.
Le matin je me rendais au bureau quand un agent se précipite sur moi en me disant qu’il est porteur d’ordre de la mairie pour Monsieur de Laubier : émotion car on sait les nouvelles que les agents vous apportent… Il faut que dans une heure les drapeaux qui pavoisent le bureau aient disparu. Cela donne des points de mire et de repère aux aéroplanes allemands qui commencent à survoler notre région.
J’enlève les drapeaux avec une tristesse noire... quand pourrons-nous les remettre ?
À deux heures par une chaleur étouffante, nous regagnons le bureau. Là on a les nouvelles, la vue du va-et-vient enfin toutes les troupes campées aux environs de Roubaix vont défiler… Puis à 4 heures on a le bienheureux journal.
À trois heures passe le premier aéroplane allemand. C’est odieux à voir et à entendre, c’est vraiment l’oiseau de malheur.
Vers 4 heures on vient en grande hâte chercher Georges. Il faut organiser un convoi pour aller chercher les blessés à Cysoing, Georges part. Jean va à de Ségur il aide au groupement des autos et revient nous retrouver. Pendant ce temps quelques régiments défilent : mauvaise tenue, ces gens ont été gâtés par la population, beaucoup ont bu, les officiers ne peuvent les faire marcher en ordre, un sergent est ivre mort... lamentable la musique commence et on ne peut continuer ; pourtant toute la rue de la Gare est noire de monde, les gens applaudissent, chantent la Marseillaise, embrassent les soldats... mais l’angoisse est dans bien des yeux.
Tout à coup à 5 heures une débandade se produit sur la place, Bichette et Alcime descendent que la poste va être fermée à 5 heures 1/2 par ordre de la Préfecture. Le courrier va être enlevé en auto. Tous nous nous précipitons à écrire maman, marraine, amie Sophie, Théodore, le Cher Maxime, François, tout le monde a son mot... on court tout jeter à la poste où règne une cohue indescriptible… pas d'employés, pas de Directeur, une foule de personnes pleure.
Nous remontons au bureau et nous y mettons tout en place... le temps s'obscurcit... et nous constatons qu'il n'y a plus d'électricité.
Nous partons pour le salut où il y a une foule encore plus intense car l’habitude.
L’aspect de l’église et lugubre, de loin en loin on a disposé les triangles des enterrements avec quelques bougies. On récite le chapelet, puis les litanies au milieu de celles-ci le tonnerre gronde avec un fracas effroyable… c’est la fin du monde. Les gens pleurent et le cantique « Reine de France, priez pour nous » est chanté avec une intonation suppliante qui nous fait frissonner.
À la sortie, pluie diluvienne, nous attendons puis nous partons avec trois parapluies pour six : Me Craveri et Christian, Bichette et Michel, François et moi.
Le boulevard est complètement noir… à la maison les quelques bougies ne parviennent pas à nous donner la lumière suffisante. Nous changeons de vêtements car nous sommes trempés ; puis les enfants soupent et se couchent. Jean et moi nous attendons Georges qui rentre à 9 heures dans un état indescriptible, il est trempé jusqu’aux os…
Mauvaise nuit, cauchemars…
(G) Expédition de Cysoing. Nous équipons 20 voitures automobiles pour aller à Cysoing relever des blessés de : c’est sur l’ordre exprès du médecin major de Lille que nous faisons cela.
Départ pour Baisieux. En route, encore que des patrouilles allemandes circulent sur tous les chemins. Il pleut à torrent, à Cysoing, dans l'école libre une grande salle avec une cinquantaine de blessé.
Nous trouvons des braves gens du pays très surexcités contre nous parce qu’ils désirent garder leurs blessés, nous avons toutes les peines du monde à leur faire comprendre qu’ils seront mieux soigner avec nous parce que nous sommes mieux outillés qu’eux : cinq de ces blessés sont morts dans la journée. De tous les gens qui sont venus avec nous ne travaillent à habiller ces malheureux que Bouleton et Madame Mathon, à les charger que M. Watine à les transporter en brancard que M. Dosmadryl et moi, les autres regardent.
Nous repartons à la nuit tombante, mais nous n’arrêtons pour allumer qu’à Lannoy passé car nous craignons les rencontres. Or Alcime qui s’était mis à la recherche des patrouilles allemandes m’a raconté le soir que nos autos ont donné en plein dedans à Lannoy, et que c’est tout juste si l’une d’elles n’a pas tamponné un dragon. Il était sur le trottoir en face quand la chose s’est passée.
Mardi 24 août.
Pas de journaux au réveil ; on nous annonce que toute la troupe à quitté Lille, que le Préfet est parti pour Dunkerque et l’état-major pour une destination inconnue… c’est la consternation ; on dit que le général Percin n’a ouvert que le samedi un pli qu’il avait dans sa poche depuis 14 jours. Caillaux, officier d’intendance à Lille allait le voir et le soir ils faisaient tous deux leur partie de cartes…. c’est un écoeurement qui vous prend à la vue de tants d’incurie, qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? Le soir le journal paraît et narre l’horrible incident de Toufflers (mis dans les notes de journaux).
L’après-midi Georges a été à Herseaux, où des patrouilles de Hulans ont été descendues par des soldats de la Garde Civique et par des douaniers belges. Ceci partent « pour chasser le Prussien » fusil sur l’épaule : Monsieur Watine et Georges déplorent de ne pouvoir en faire autant.
(G) Dans la nuit du 23 au 24 août le général Percin a envoyé ou a conseillé à son officier d’ordonnance, Jehan Prouvost, te prévenir sa famille à Roubaix qu’il était temps de fuir. Arrivé à 2 heures du matin il a prévenu son Père, ses oncles et quelques amis. A 4heures son père prenait la fuite, mettant lui-même son auto en route et plantant tout là, maison et domestiques, en sorte que vers 6heures ses bonnes sont descendues comme d’habitude et ne voyant paraître personne entre 7 et 8 heures ont constaté la fuite. Nombre d’autres roubaisiens dont le si brave Henri Glorieux en ont fait autant.
Le récit Yvonne est un peu inexact à Wattrelos et à Herseaux il y avait les réservistes du 17e chasseurs à pied. Un sergent et cinq tirailleurs tirailleurs occupaient la route de Dottignies de l’autre côté de la voie du chemin de fer de Mouscron à Tournai, un fil de fer était tendu à 0,50 du sol entre les deux derniers arbres de la route c’est-à-dire à 50 mètres des soldats.
Devant l’usine de M. Watine, derrière un chariot de Masquilier, deux autres chasseurs étaient embusqués. Un peu plus loin une voiture renversée servait d’abri à deux tirailleurs. L’œil au gué tous les habitants voisins sont aux écoutes ils explorent la route du regard. Le matin on avait descendu une quarantaine de cavaliers.
Tout à coup les coups de feu nombreux éclatent dans la campagne, ce sont de vrais coup de fouet et ils sont assez isolés pour qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est qu’une rencontre de patrouille. Puis apparaît un sergent de douane sur une bicyclette ; il a sur la poitrine des médailles du Tonkin, de Tunisie de Tunisie et de Madagascar. Il raconte que parti à la chasse aux Allemands il en a descendu cinq, qu’ayant chaud et soif il a été boire dans un cabaret ; au moment où il est sortait une patrouille de 40 Dragons arrivait sur lui ; il a filé à petite vitesse suivi par eux et au moment favorable il en a descendu trois autres et a filé à toute vitesse. Ce sont les coups de feu que nous venons d’entendre.
2e recherche de blessés à Cysoing.
Les autos Desmadryl, Delemasure, Rémy Braem partent pas Baisieux, passent par sans encombre et ramènent 12 blessés.
Les autos Lejeune, Boulton et Dujardin part par Hem et Forest enportant, en sus de ces Messieurs Mmes Pollet-Motte, Dujardin et Melle J. Delys. À l’Empempont elles sont arrêtées par un escadron de cuirassiers allemand qui après interrogatoire emmènent prisonniers M. Lejeune, le chauffeur de Boulton et les deux voitures.
Celle de Monsieur Dujardin est autorisée à retourner en arrière.
La voiture de Monsieur Boulton fait une randonnée sur Tournai, Valenciennes et Cambrai, puis rentre coucher à Pecq vers 9 heures du soir. Ces allemands connaissent si bien le pays, que, en plein champ, aux environs de Cambrai, ils font arrêter, descendent, disent au chauffeur de prendre un chemin à la gauche de leur route, de le suivre pendant 200 mètres, de tourner à gauche, il trouvera un estaminet où il doit se faire servir ce qu’il veut en attendant.
Monsieur Lejeune a été conduit à Pecq où il est resté prisonnier, il est bien traité. Le 26 à 7 heures du matin le Hauptmann des cuirassiers qui a arrêté les voitures, remet en liberté la voiture de Boulton et M. Lejeune dont l’auto ne reviendra pas.
Mercredi 26.
Cette fois-ci, il n’y a pas à vouloir éviter l’envahissement… Les voilà en ville, trois patrouille de 17-19 et 21 Hulans accompagnées d’un officier et d’un cycliste circulent en ville. Va-t-il en venir d’autres ? Nous ne savons que penser. 7 avions allemands survolent la ville, l’un d’eux laisse tomber de la petite fumée noire, cela par trois fois….. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Le soir, après le salut, on va du côté du Journal de Roubaix. L0 madame Rebout déclare qu’elle a des nouvelles si merveilleuses, si bonnes qu’elle n’ose pas les publier sans le visé de la censure.
On rentre : on attend... on se couche… le Journal ne paraît pas…
Jeudi 27
(Y) On nous annonce que les services postaux vont reprendre… Toute la journée on attend et rien ne paraît.
(G) J’envoie la voiture Rémi Brahon à froidemont chercher 4 blessés qui sont à l’asile d’aliénés, donc un lieutenant du 365e qui est évacué le même jour sur Dunkerque par la Madeleine.
Vendredi 28
Madame Craveri va voir Liouville afin de savoir s’il n’a pas su quelque chose de notre Maxime ; elle le trouve dans un état de santé meilleur qu’on ne le lui avais dit. Il a le dos criblé de traces de balle ; celles-ci ricochaient sur le talus et, lui ont ainsi meurtri le dos.
Toujours rien de notre fils, où est-il maintenant ? Notre inquiétude est telle que nous n’en parlons plus, mais le soir nous sommes dans une agitation et une angoisse indescriptibles. Mon Dieu ayez pitié de nous….
(G) Voyage à Arras-Bapaume.
On nous téléphone de Lille pour nous demander d’évacuer les blessés à Arras où ils arrivent en trop grand nombre. 14 voitures automobiles et deux camions part avec nous. À Arras nous apprenons qu’il faut aller à Bapaume. L. Watine prend le commandement de cette expédition et je reste à Arras pour, en cas de besoin organiser les départs pour Roubaix.
Un incident. Sur sommation du commissaire central d’Arras la voiture de M. Lefebvre est requise pour aller à quelques kilomètres conduire le maire et le premier adjoint qui y sont convoqués par les Allemands.
Heureusement que Monsieur Albert Deleporte accompagne la voiture, car arrivé sur place il apprend de l’officier allemand que c’était une réquisition de voiture automobile… il explique que notre voiture, couverte par la Croix-Rouge vient de Roubaix ; l’officier garde le Maire, renvoie l’adjoint dans la voiture en lui signifiant que si, dans les trois quart d’heure qui suivent il ne revient pas avec une auto d’Arras même il fera fusiller le maire.
En attendant le retour de Bapaume nous déjeunons à l’hôtel avec comme voisins les médecins majors des hôpitaux de la ville. Puis je fais charger dans notre fourgon 4 blessés très gravement que le médecin-chef désire éloigner ; nous les prenons au Saint-Sacrement. Ensuite la voiture du marchand de pors amène deux blessés à opérer de suite, je les conduis au Saint-Sacrement où je reprends 4 autres blessé. Entre-temps le commissaire central me prévient que la route par Lens n’est plus possible, les Allemands sont à Lens, il conseille d’aller par Saint-Pol.
J’expédie 6 autos par cette route ; puis, quand tout le monde est parti, je reviens avec Desmacker et la voiture Mollet-Carré où se trouve L. Watine.
Nous décidons de prendre la directe sur Béthune.
Samedi 30.
Journée pénible, nous continuons les bandes de toile pour les soldats…. en revenant nous rencontrons M. Maurice Prouvost qui nous annonce savoir de source certaine que Civet vient d’être enfoncé.
Il est arrivé ici des quantités de lettres il n’y a pas de facteur, ni de service postal. On charge de la Croix Rouge du service. Les enfants portent des lettres, ils sont accueillis avec un enthousiasme fous.. on les entourent, on leur offre à boire… Michel et Christian rentrent à 8 heures 1/2 du soir sous une pluie diluvienne, ils ont accepté deux petits verres de vin et ont eu 6 sous « pour leur dimanche guillemets ». Les gens sont reconnaissants au possible de leur dévouement.
Dimanche 30.
Nous avons une lettre de Maxime du 17, bonne lettre qui nous raconte remonte le moral. Les enfants de : Jean, Alcime, Christian et Michel port de des lettres toute la journée.
(G) 2e voyage Bapeaume-Combles. Dix voiture.
La voiture de monsieur A. Motte tombe, dans les environs d’Arras, dans un groupe d’Allemands qui s’en emparent et donnent un bon 4.000 marcks. Plusieurs voitures font ce jour la route deux fois entre Bapaume et Roubaix .
Mardi 1er septembre. De source certaine les Allemands sont à Lille ils ont pris possession de la préfecture, des casernes e.t.c. l’attitude du maire de Lille est admirable…
Mercredi 2. Nouvelle arrivée d’allemands à Lille, ils sont, dit-on environ 2.000. Il mettent des affiches en ville… On sent que la crainte gagne les habitants. Nous n’avons plus de drapeau à la mairie .
(G) 1er voyage du 31 août. Voiture de M. Alfred Motte, chauffeur M. Rolval fils. Partis au rendez-vous fixé à Arras et ensuite à Bapaume .
Transport et chargement de blessés sur matelas. Des chariots de fermiers arrivant de Combles avec des blessés, le soldat infirmier qui avait pris à Arras la tête du convoi qui monte dans notre voiture 4 blessés qui pouvaient rester assis. Après en avoir préféré à M. L. Watine nous partîmes à bonne allure. À Arras rencontrer M. De Laubier qui nous apprend qu’il y a des Boches à Lens et nous conseille de filet par Béthune et Armentières.
À toute vitesse nous filâmes sur Saint-Pol ou nous fûmes arrêtés par la gendarmerie. Le drapeau de la voiture n’était pas estampillé, le chauffeur n’avait pas de brassard et moi j’avais le brassard de M. Delaoutre qu’il m’avait prêté le matin, comme carte d’identité je n’avais que ma carte de demi-tarif de chemin de fer.
Le gendarme qui avait fait arrêter la voiture ne se contenta pas de cela, ni des explications qui lui étaient données et menaça de nous fouiller ainsi que les blessés. Je protestai vivement et demandai à causer au maréchal des logis-chef.
Quelques minutes après celui-ci apparut et après avoir expliqué les motifs de notre passage en cette ville, il nous donna autorisation de partir.
À Béthune pour ne pas être inquiétés j’allais trouver le commissaire de police qui me ne me fit aucune difficulté pour nous laisser continuer. Il m’apprit qu’on lui avait téléphoné de Lens et que quelques allemands y étaient allé faire des réquisitions de médicaments et d’objets de pansement.
Rentrés à Roubaix à 17 Heures 1/2 et déposé 4 blessés au dispensaire.
(récit de Monsieur Bouchez)
1er Septembre 1914 (Monsieur Bouchez)
Camion de M. Rémy Braem.
Partis à 11 heures nous passons à Lens à midi ou les Boches ne sont pas reparus.
Entre Lens et Arras, nous apercevons dans une auto, une personne qui nous fait signe de ralentir… Au passage M. Renaux nous prévient que très probablement nous rencontrerons vers Sainte-Catherine une patrouille ennemie. Nous marchons à une allure modérée en surveillant attentivement la route.
Quelques minutes après nous apercevons dans le lointain deux hommes qui, au milieu de la route paraissent regarder de notre côté avec des jumelles, immédiatement après, d’un repli de terrain, 3 hommes armés apparaissent, un se met au milieu de la route, les deux autres de chaque côté sur le trottoir et mettent le fusil hauteur de l’épaule. Nous arrêtons près d’eux et nous reconnaissons des hussards de la mort. Après avoir regardé dans la voiture l’un d’eux nous fit signe de continuer.
2 septembre 4° voyage Arras Applaincourt.
Arrêtés en route nous sommes obligés de revenir à Roubaix, néanmoins la voiture du docteur Faidherbe tombe entre les mains des Allemands aux environs de Lille. Le chauffeur réussit à s’échapper et ramène sa voiture en bon état 48 heures après.
Jeudi 3
En allant à la messe de 7 heures nous voyons tous les gens consternés devant la première affiche allemande, mise la nuit : elle est signée votre Bertram général Etappen, elle nous enjoint de laisser de la lumière durant toute la nuit dans nos maisons, nous interdit de sortir avant 5 heures du matin et après 9 heures du soir…. c’est la consternation.
Nous achetons de l’essence et le soir venu nous mettons la lampe pigeon sur l’échelle dans le petit vestibule, nos voisins ont laissé l’électricité… dans toutes les maisons de la rue on s’est conformé aux instructions…
A 11 heures du matin des agents passent dans les rues arrêtant tous les gens et disant que par ordre du Préfet tous les hommes de 13 à 48 ans doivent partir aujourd’hui pour Boulogne.
C’est l’affolement… dans la rue du vieil-abreuvoir où j’entends cet ordre tout le monde court… la rue de la Gare se remplit d’hommes se dirigeant vers la gare.
Nous déjeunons dans l’inquiétude et Georges part pour demander conseil à la mairie avec son livret militaire ; il lui est dit de ne pas partir.
Quel adoucissement…
Vendredi 4 septembre 1914.
Journée de pénitence demander par Monseigneur Charost. Les églises sont pleines de monde, les offices suivis avec une piété admirable… chemin de la croix, salut, procession, tout est accompli sans défaillance.
Mais combien les nouvelles se font rares et comme les mines s’assombrissent. Tous les jours on apprend de nouvelles morts et la tristesse s’accroît.
Samedi 5.
Les Allemands ont quitté Lille dans la matinée avec une rapidité et une débandade inouïes… À 10 heures on a sonné le ralliement et un 1/4 d’heure après ils filaient laissant la préfecture dans un état indescriptible… Il faut qu’ils montrent leur civilisation… On est dans la joie, on bénit Notre-Dame de la Treille, on remet le drapeau à la préfecture de Lille et à la mairie de Roubaix.
C’est ce même jour qu’a lieu l’enterrement du premier soldat mort dans nos hôpitaux, belle manifestation de patriotisme temps au cimetière qu’à l’église. Du cimetière on entend le canon dans la direction de Maubeuge, qui souligne d’une façon émouvante le beau discours du docteur Ballenghien. Toutes les infirmières en costume entourent la tombe, tous les administrateurs et tous les brancardiers de la Croix Rouge sont présents ainsi qu’une délégation des anciens combattants français, des membres du Souvenir français et quelques agents de police.
Dimanche 6 septembre
Départ d’une auto pour transporter à Moilains des infirmières et des médicaments. 300 soldats français sont là dans deux grandes salles d’usine sans soins et sans vivres.
Les enfants passent leur dimanche à distribuer des lettres.
Lundi 7 septembre
Georges me fait prévenir à 9 heures qu’une auto va me conduire à Locre. Elle me reprendra le lendemain, j’aurai donc le temps de préparer mes bagages, il est convenu que j’emmène Alcime.
Je dois être à midi devant le Tribunal de Commerce, rue du Grand-Chemin. Je ne suis pas sans appréhension, j’ai peur de rencontrer des Allemands, de ne pas revenir…
L’auto est très bonne, monsieur Renaux qui m’accompagne, très aimable, le chauffeur est très sûr… Enfin je me confie à la Providence.
Il faut montrer nos papiers à la sortie de Roubaix, à Mouvaux, à la sortie de France et à la traversée de toutes les communes belges où les gardes civiques nous arrêtent. Comme tout est bien en règle il n’y a pas de difficultés… nous sommes à Ypres à 1 heure 1/2… il faut nous arrêter parce que la machine chauffe.
Monsieur Renaux, Alcime, le chauffeur prenne un verre de grenadine, moi je reste dans l’auto. Des drapeaux belges flottent au clocher de tous les édifices : c’est la protestation contre la violation de la neutralité de la Belgique…
L’hôtelière de la Châtellenie me raconte que 5 hulans ont traversé la ville le matin à grande allure… on a tiré sur eux sans les atteindre… du moins mortellement car il y avait des traces de sang après eux… ces gens ont peur ils voudraient qu’on envoie de France un régiment pour les préserver… Et je songe devant la solitude de cette place à l’animation qui y régnait quand, à la Pentecôte, nous y avons déjeuné avec les Craveri de. Je pense à notre bonne journée avec Denise et François, à leur émerveillement devant cette belle halle aux draps ; nous n’avons pas assez apprécié ces beaux jours…….
On repart et j’arrive à Locre. Alcime, descendu au Mont-(…ign) pour aller chercher Madeleine me rejoins bientôt.
À 4 heures j’ai les clefs et j’entre dans la maison qui est dans un état de propreté admirable ; pourtant 60 hommes, militaires français, ont couché là pendant 6 jours. Sur la porte de la salle à manger on lit : 1° escouade, sur la porte de ma chambre 2° escouade et sur celle des enfants 3° escouade…. .
Le jardin est ravissant, les pois de senteur embaument, les dahlias sont éblouissants, les roses superbes et les soleils de Christian sont de vrais phénomènes, il y en a de plus grands que des plats.
Nous retirons les draps qui étaient cachés dans les paillasses, nous faisons les lits pour le soir… puis je rends la liberté à Madeleine et vais voir dans le village .
Monsieur le Curé étant absent je me rends chez Monsieur le doyen ; le curé nous y rejoint avec l’aumônier de l’orphelinat et là soutenu peut-être par ma présence, Monsieur le Doyen épanche toute l’amertume de son cœur contre les habitants de Locre qui nous sont hostiles.
La veille on avait lu que 17 Hulans (les Allemands sont toujours ces hulans) avaient traversé Roubaix et on ne leur avait rien dit, rien fait… « Les Français ne sont bons qu’à ramasser du crottin » aurait dit un notable du pays (je suppose que c’est le clerc) enfin ce pauvre Doyen se met dans un état de surexcitation telle que l’aumônier debout ne savait quoi lui dire pour le calmer.
La lettre pastorale que de Monseigneur Charost, lue en chaire, en français devant ces gens qui comprennent tout mal est la cause de tout ceci. Monseigneur dit « la guerre est une punition » et eux alors concluent : les Français ont mérité une punition et c’est nous qui payons pour eux. Tout cela est fâcheux au possible.
Enfin j’embrasse le Doyen de tout cœur et je monte au Mont-Rouge ; le souvenir de Maxime m’obsède, je veux aller dire mon chapelet à la chapelle et mettre un cierge pour lui là où il en a tant mis pour moi… Cher Fils, où est-il maintenant.
Nous donnons un coup d’œil mélancolique à la maison des très chère demoiselle Ghestem… où sont les bonnes vacances que nous devions passer deux ; et je vais par le petit chez Euphrasie où je voudrais trouver des poulets.
Nous rentrons, nous ne trouvons à acheter que la moitié d’un pain, 1/4 de café, il n’y a plus de sucre à Locre depuis déjà huit jours, les routes n’étant plus sures, ils ne font rien circuler.
Nous mangeons chacun deux sardines, un morceau de beurre… Et fatigués, ne voyant pas clair nous nous mettons au lit.
Le lendemain 8 septembre, je vais à la messe de 6 heures, c’est l’anniversaire de la naissance de Daniel et, comme je ne peux pas faire dire de messe pour lui, je veux au moins l’entendre à ton attention.
Je fais toute la matinée un triage des choses indispensables et je mets tout dans des ballots. Tout cela est long et difficile à confectionner. Je laisse bien des choses que je voudrais emporter.
Notre déjeuner se compose de : œufs, pommes de terre en robe de chambre, nous buvons de l’eau.
À 2 hures tout est terminé, la maison est en ordre… et je commence à me tourmenter de l’auto. Je fais une provision d’œufs, j’en ai une centaine que je mets dans mon panier et dans la corbeille de mère… cela est périlleux… Mais je serai si contente de voir Georges se régaler.
Je vais dire adieu à Emma et à Louise, puis je me mets à tricoter devant ma porte… tout comme dans les beaux jours… À 4 1/4 voilà l’auto.
J’y entasse plus que je n’osais prétendre… Nous voilà partis… J’embrasse Madeleine qui pleure… Les voisins W… Quand nous reverrons nous ?
Voilà sur Dickebusch deux aéroplanes allemands… Je dis bonjour à Me Brigou. Tout ce petit monde est inquiet de l’avenir.
Un troisième aéroplane survole Ypres… depuis la sortie de la ville jusqu’à Mouveaux nous en voyons encore 5… je ne peux pas dire ce que cela m’est odieux… je le relance des anathèmes… mais j’ai toujours peur qu’il ne nous envoient autre chose.
Nous filons à une allure folle . . . j'ai une peur affreuse . . . mais je tiens bon et ne dis rien . Nous nous arrêtons à nouveau où nous déposons un peu de courrier et nous sommes à la maison à 6 heures 1/2 . . . Que je suis heureuse de me retrouver chez moi ; on débarque les colis , je donne une gratification au chauffeur qui me remercie très gentiment , j’offre 24 œufs à M. Renaud . . . et Georges arrive avec madame Craverie et Bichette , inquiet de mon absence , il s’était déjà mis en quête d’une auto.
Il nous apprend que Maubeuge s’est rendue : le fils Poers ce qui est automobiliste a pu s’en évader et il a rapporté des nouvelles de son frère à M. Ruffelet. Il a été directement à la Croix-rouge . Le soir Georges le fai venir il raconte le bombardement était tel qu’on ne pouvait plus tenir : il y aurait d’après lui à peu près 40.000 prisonniers.
C'est la désolation , effondrement : nous pleurons tous . Je ne peux pas dire ce que j'éprouve .
Qu’est ce que tout cela va donner ? C'est une soirée de découragement complet . Où est Maxime ? C’est à devenir fous d’inquiétudes , on ne sait à quoi penser . . . la France . . . notre Fils . . . nous même qu’allons nous devenir ?
Mardi 9 septembre .
Nombreux Taube , journée de marasme. Les patrouilles allemande sont vues au petit Waquehal… qu’est-ce que tout cela va donner.
Jeudi 10 septembre .
Anniversaire du mariage de Papa et de Maman , c'était dans ma jeunesse une journée de fête . . . Que tout cela est loin . . .
Les allemands ont été vus à l'avenue des Villas , d'autres à Hem enfin la situation parait si peu sure que nous nous décidons à enterrer nos objets les plus précieux : les candélabres , la petite argenterie, les bijoux . . . Nous confectionnons avec tout le soin possible la caisse que Georges enfouira demain matin, tout cela est singulièrement triste.
Vendredi 11 septembre
(G) quand on n’a pas fouillé la terre et exécuté de travaux de terrassements on ne se figure pas de ce qu’il est pénible de faire un trou de 1.50 X 1.50 sur 1.50 de profondeur j’ai cru que je ne m’en sortirais jamais.
Depuis que nous savons que Maubeuge est rendue nous nous inquiétons de savoir ce que sont devenus les blessés car Me Mathon, rentrés de Moislain nous a expliqué qu’entre la fin de l'action et la prise en charge des blessés par les ambulanciers allemands il se passe toujours , huit au moins , pendant lesquels ces malheureux sont soignés vaille que vaille par le personnel que les ambulances du front a pu détacher en arrière.
Les allemands ont deux organisations d’ambulance, les Kriegs-Lazarrett qui sont les ambulanciers du champ de bataille et les Feld-Lazarett.
Les Kriegs-Lazarrett se composent, pour un corps d’armée de 12 ambulances numérotées de 1 à 12.
Ces ambulances sont sous les ordres d’un médecin général et chaque groupe d’un médecin chef ayant le grade de Stadtsarbz ou chef de bataillon .
Les Feld-Lazarrett se répartissent depuis le front, c’est-à-dire 3 ou 4 km de la ligne de front jusqu’à environ 8 à 12 suivant les ressources du pays, chaque groupe comprenant 4 ou 5 médecins et aides ayant le rand d’officiers, un officier d’administration et une soixantaine de s/officiers et aides-infirmiers.
Le groupe est autonome il a à son service des vivres, des médicaments et pansements avec un officier apoteke et sa cuisine roulante . Quand il arrive quelque part il choisit un local pour le service central , tous les locaux susceptibles de devenir des ambulances, puis par voix de réquisition y monte des lits etc… nécessaires.
Quand le front se déplace rapidement le Stabstarz laisse en arrière , suivant les besoins un ou deux médecins ou infirmiers, mais ceux-ci sont abandonnée à eux-mêmes et doivent se pourvoir de tout ce qui est nécessaire pour vivre aussi bien pour eux que pour les blessés.
Comme tout ce que nous avions vu jusqu’à présent démontrait qu’on laissait environ un médecin pour cent blessés environ, nous nous demandions ce qui était arrivé à Maubeuge où il y avait des blessés en quantité.
Madame Mathon prend le commandement d’une expédition à laquelle se joignent Me Vermeulen, Melle Mathon, Melle Bastin, Mr Me Melle Dujardin, Mr et Mme Delesalle, maire de Lille, René Winaux et M Mathon qui se décide au dernier moment à les accompagner pour éviter les imprudences de sa chère épouse .
À Valenciennes, sur le vu de ses papiers Me Mathon obtient du colonel de la Kommandanture l’autorisation de continuer.
Arrivés à Maubeuge le commandant de la place leur permet de circuler librement et de visiter les blessés.
Tout est parfaitement en ordre les ambulances de « Bavai » « Sculfort » « Assevent » « Delattre » « Saint-Jean du Nord » sont parfaitement desservies par un personnel très nombreux de la Société Française de Secours aux Blessés Militaires venue de Paris avant l’investissement et commandé par des infirmières major de la Société .
Tous nos membres se partagent les hôpitaux afin d’y recueillir des nouvelles des blessés puis de ce qu’ils savent des autres Roubaisiens, car Maubeuge renfermait la moitié du contingent roubaisien, tourquennois et lillois. Les autos rentrent le soir et rapportent un millier de noms de blessés de prisonniers, avec une note sur l’état sanitaire de chacun. Mme Vermeulen (marié Wibaux) donne tous les détails sur l’état de son frère qu’elle a failli ramener : Henri Wibaux, légèrement blessé avait été autorisé à revenir à Roubaix si le major jugeait une opération immédiate nécessaire, malheureusement le major a été introuvable toute la journée.
Le samedi matin , 12 septembre dès la première heure nous affichons les noms des blessés et des prisonniers et prévenons que les voitures repartent lundi matin et emporteront le courrier pour les blessés et les prisonniers à condition qu’il soit déposé au siège de la Société à « de Ségur » le dimanche avant 5 heures. À midi il y avait plus de 20.000 personnes à notre porte, la police est obligée d’organiser un service d’ordre. Le soir les lettres commencent à affluer.
Nous recevons dans la journée une visite bizarre au moins de la façon dont elle se présente. Madame Lambert, marchande de beurre à Bailleul et infirmière diplômée de la Croix-Rouge belge (ses papiers sont en règle) se présente au Central de la Croix-Rouge demandant tout d’abord le moyen de regagner les lignes allemandes.
Elle nous raconte qu’infirmière à Dinant au couvent des Pères elle a assisté à la fin du fils d’Ed. Motte et enterré elle-même les deux fils Toulemonde, dont elle a elle-même détaché les médailles qui sont entre les mains du bourgmestre de Dinant. Elle raconte à ce sujet que M. Himmer flatteur à Dinant a fait faire trois cercueils pour enterrer ces jeunes gens dont il connaissait les parents et que les allemands, apprenant le fait, l’auraient fusillé, lui et les ouvriers (16) qui y auraient prêté la main.
Elle raconte la facilité qu’elle a eue pour circuler dans les lignes allemandes les permis, d’ailleurs conformes à ceux de Madame Mathon, qui facilitent les déplacements, un droit de réquisition de véhicule pour la transporter.
Elle me raconte qu’elle est restée seul à Charlemont, sous Givet où les autorités allemandes lui avaient demandé de se rendre et il y avait plus de 200 blessés.
Monsieur Mullier d’abord puis M.M. Toulemonde s’entretiennent longuement avec elle. Elle donne des détails sur l'emplacement des tombes, c'est pour eux une grande consolation que de savoir qu'il n'ont pas été jetés au charnier.
Dimanche 13 septembre 1914
(Y) Georges part de bonne heure à de Ségur avec Jean, Alcime et Christian : nous devons déjeuner chez les Craveri. Les petits s’y rendent de bonne heure… je suis seule quand on sonne . . . c’est une dépêche chose . . . je tremble comme une feuille et n’ose l’ouvrir . . . pourtant elle contient la délivrance du cauchemar qui nous mine depuis des jours.
« Maxime soigné à Amboise, très légères blessures aux jambes Cadou. »
Je ris je pleure, je suis dans un état d’émotion indescriptible, juste M. Burkard arrive, il vient me demander d’écrire à Théodore au sujet de son frère, commandant de Zouaves, qui blessé aux reins est transporté à Bordeaux.
Je lui donne la dépêche afin qu’il la porte à Georges : celui-ci revient prend la dernière bouteille de champagne… que nous allons boire à la santé de notre vaillant fils.
Émotion de tous…. nous allons télégraphier sitôt après le déjeuner.
« Fêtons fiançailles, Craveri, de Laubier » Bichette à laquelle nous livrons le secret est toute heureuse. Nous échafaudons les plus beaux projets : sitôt qu’il va être mieux il viendra finir ici son congé de convalescence… nous sommes heureux… nous passons enfin la bonne nuit dont nous avions besoin.
Lundi 14 septembre
Deuxième expédition sur Maubeuge. M.M. Mathon, M.M. Dujardin partent à 5 heures du matin emportant des lettres pour les blessés : notre service central de la Croix Rouge a reçu et trié des lettres jusqu’à 10 heures hier soir.
Il y a 8.500 lettres et un millier de paquets. À Valenciennes Mme Mathon peut passer mais les autres voitures sont arrêtées : le colonel von Wenzel, commandant la place, déclare à M. Delesalle, maire de Lille que s’il le revoit encore dans sa Kommandanture il sera fusillé. Il confisque l’auto du maire qui est obligé de revenir à pied à Lille…
Entre-temps Dujardin entend qu’un convoi très important de munitions se dirige vers Saint-Quentin : revenant ici il téléphone à la place de Dunkerque où on lui demande le secret. Nous n’avons su l’incident que huit jours plus tard quand remercié par son correspondant on lui apprenait que le convoi avait pu être détruit par une randonnée d’autos blindées.
Le train de Paris arrive tous les soirs entre 8 heures et 2 heures du matin, il ramène nombre de blessés envoyés en convalescence par les autorités militaires françaises. Un certain nombre d’entre eux sont encore très faibles ou ne peuvent pas marcher, il en résulte une situation pénible pour des hommes allant un peu loin en ville, les trams cessant de fonctionner à 8 heures. M. Craveri et M. P.Gaydet ont l’excellente idée de convoyer ces pauvres gens mais c’est une question onéreuse et fatigante quand il faut aller à la Festingue par exemple. Aussi la Croix-Rouge fait-elle stationner tous les soirs trois autos que ces messieurs peuvent employer à ce service.
Entre-temps les voitures de la Croix-Rouge font le service postal entre Dunkerque et Roubaix, service très imparfait car si l’enlèvement des lettres et très régulier, l’arrivée des courriers les beaucoup moins.
À Roubaix tous les facteurs étant évacués ce sont nos brancardiers qui font la distribution postale ce qui popularise encore plus notre œuvre et ses serviteurs.
Nous faisons aussi un service d’approvisionnement des ambulances en allant en Belgique chercher des vivres : le beurre et les œufs à Ypres, la viande à Menin ou à Courtrai où nous faisons de très bons marchés la volaille à Cysoing les légumes à Ascq, Orchies etc…
Madame Kuntz avait reçu de son fils Joseph dans les derniers jours du mois d’août deux mandats de 500 Frs chaque… mais il n’y avait plus de poste et les deux mandats étaient là sans qu’on puisse les utiliser… Pas besoin de peindre l’ennui de toute la famille / les fonds déposés par Pierre ne pouvait être transmis, et les mandats restaient là. À Lille pas moyen la poste étant parti par les mêmes ordres que la nôtre.
Enfin Georges à l’occasion de faire évacuer un officier pour Dunkerque… il fait prévenir Me Kuntz, et il est convenu que Jean profitera de l’Auto jusqu’à Ypres afin de ramener la bicyclette restée en souffrance à Bailleul depuis le 1er août. Mme Kuntz doit être prête pour 10 heures : à 9 heures je vais lui dire au revoir, lui souhaiter bon voyage et je la trouve déjà prête… assise sur le tabouret de piano… elle n’a pas mangé… elle ne tient pas en place… et on la comprend. Ss filles l’accablent de recommandations… elle même est très émue de s’en aller… elle a un sac pour mettre son argent elle a tous les papiers nécessaires… et la voiture ne passe la prendre qu’à 11 heures ½. Elle revient le soir même enchantée, et on la comprend…
Jean descendu à Ypres y achète 4 pains, 4 tablettes de chocolat et armé de ce bagage il prend la route de Bailleul (26 km) il goûte à Locre chez Emma, repart pour Bailleul tout d’une traite, reprend la bécane familiale et revient coucher et souper chez Emma. Le lendemain il reprend à Ypres l’auto qui le mène presque jusqu’à Roubaix. Il est ici à trois heures, combien je suis rassurée de le voir ici : les routes sont si peu sûres qu’on est malheureux de sentir ses enfants hors de chez soi. Il faut applaudir à son économie il a dépensé 1 F. 40.
Le soir nous apprenons une triste nouvelle : la mort de notre cher abbé Gruson : il aimait tant papa, il avait gardé un tel souvenir des siens que j’ai de la peine de cette mort… Je ne peux pas aller à son enterrement, des routes de Tourcoing sont sillonnées d’allemands, et les tramways sont interrompus.
Il se faisait de cette guerre une peine très grande, il en est une des victimes.
15 septembre
Nous avons décidé de faire parvenir des douceurs et des vivres des vêtements etc. à ceux des blessés, et prisonniers de Maubeuge que nous connaissions, mais trois voiture envoyées échouent à Valenciennes qu’il est impossible de franchir. M. Mathon revient ce jour-là avec quelques centaines de noms nouveaux et de nombreuses lettres que nous distribuons. Pour les noms nous les affichons aux vitres de de Ségur, mais il y a de véritables émeutes dans la rue les personnes qui ont lu et non rien vu attendent dans l’espoir de nouvelles plus fraîches, des autres ne peuvent approcher, d’où manifestation.
Un brave homme qui revient de Bruxelles nous apporte une liste de 1500 noms ou pour mieux dire 1500 morceaux de papier et nous raconte qu’avant Bruxelles il a vu trois trains de prisonniers de Maubeuge arrêtés sur la voie que les Allemands laissaient approcher de : que la population apportait des vivres à ces malheureux et que pour lui il s’était donné tâche d’envoyer de leurs nouvelles à leurs familles. Alors monté sur le marche-pied il avait crié à chacun de lui lancer sur la voie leur lettres et les avait ramassées aussi bien que possible, mais malheureusement il n’a pu faire que deux trains le temps matériel lui manquant.
Nous dépouillons ce courrier, nous faisons la distribution en ville : nos autos transportent à Bondues, Roncq, Linselles etc.. les lettres de Maubeuge et les petits bouts de papier qui concernent ces communes.
16 septembre.
Lettre de maman nous annonce l’arrivée de Maxime à Amboise et la façon dont ils s’y sont pris pour le faire descendre du train de blessés. Il est pour le moment à l’ambulance du château, sa blessure n’est pas grave : Déo gratias…
Nos journaux nous annoncent la victoire de la Marne comme définitive, allons courage, ils repasseront bientôt la frontière. C’est tellement l’avis de nos concitoyens qu’à la demande du service de santé de Lille nous décidons de créer une ambulance nouvelle après bien des visites à droite à gauche et en particulier rue de la Chaussée, nous décidons de demander à Madame Dévaise de nous donner de Ségur. Je me suis chargé de la négociation qui est accueillie avec enthousiasme. Le dévouement des Dames de Saint-Maur est sans bornes, nous ne parlerons à notre personnel de cette création que dans quelques jours : il faut que nous choisissons une Directrice et les avis se partagent entre Me A. Motte et M. F. Roussel.
Les journaux de Bordeaux nous annoncent, dans une note, le changement de front mais personne ne fait attention à cette note.
Ce vieille Andernach qui nous assassinait de ses produits « kosmos » de ses plaques Andernach a vu son usine saisie par les Français au profit de l’État.
Revenant de Dunkerque où il a évacué un officier et un s/officier blessé mais transportable M. Delporte nous raconte qu’à l’aller près d’Ypres il a été arrêté par les gardes civiques et quelques gendarmes belges qui étaient à la chasse aux prussiens. Alors qu’ils causaient un détachement composé de 12 hulans et un officier est apparu. Immédiatement gendarmes et gardes disparaissent comme par enchantement, les hulans approches et à bonne portée une décharge en abat quatre, les autres se dispersent.
L’officier non blessé mais désarçonné rattrape son cheval et voyant des paysans qui travaillent il va leur demander la route. Au moment où il monte à cheval il se présente de biais, bien détaché, un gendarme épaule, l’homme tombe dans la bagarre et un gendarme a été blessé. Alors nos belges mettent le gendarme sur une baladeuse enlèvent les roues et à huit le transportent à l’hôpital d’Ypres.
Pour l’officier, on le jette sur une baladeuse, on y attelle un cheval et au galop à Ypres : le malheureux souffre le martyre mais ces Flamands sont durs et sans pitié, à son retour M. Delporte a vu le malheureux officier jeté par terre dans un coin de la cour de la Halle, où il est mort sans soins, sans consolation, sans secours religieux… c’est un ennemi, c’est vrai, mais ces brutes flamandes devraient comprendre que c’est un blessé et que comme tel il est sacré… barbares contre barbares.
Jeudi 17 septembre Yvonne a pincé une bonne bronchite… O les femmes.
Les journaux annoncent que les Russes sont devant Koenisberg et que les Allemands ont perdu 50.000 hommes dont 30.000 prisonniers et 94 canons. Hurrah.
Ils seront bientôt à Berlin disent nos concitoyens, d’ailleurs une somme de 200.000 roubles a été déposée pour le 1er russe qui franchira les murs de la capitale allemande. Oui, mais en France nous sommes arrêtés sur tout le front par une défense acharnée.
La Mairie de Roubaix fait afficher :
« La préfecture nous fait connaître les renseignements suivants /
Tous les hommes mobilisables doivent rejoindre immédiatement leur corps bien via Dunkerque.
Sont maintenus dans leurs foyers les catégories de territoriaux énumérées plus loin.
Les hommes appartenant aux classes 1887- 1888-1889
2e Les hommes dont les fascicules, modèles Z ne comportent pas de mention d’affectation.
Les hommes qui sont pères de 5 enfants au moins.
Les hommes de l’armée auxiliaire doivent attendre un nouvel appel.
Les militaires qui ont quitté Maubeuge pour échapper à l’ennemi doivent immédiatement se rendre à Dunkerque et se mettre à la disposition du gouverneur général. »
Et voilà nos gens en l’air : qui, part pour la Madeleine où il y a un train à 4 heures, qui, se met en route à pied pour gagner Armentières où a Hazebrouck qui, enfin s’achemine vers les vicinaux belges pour gagner Dunkerque à petites journées. Ainsi s’en vont les Cavrois, Carré, Nollet, Delplanque, Delemazure etc… qui à Furnes passeront deux ou trois jours pour laisser le flot s’orienter, s’écouler un peu.
Voilà L. Watine qui ne veut pas partir « c’est ridicule, dit-il ». Nos services vont être bien désorganisés.
Vendredi 18. L. Watine arrive en coup de vent, ses frères partent il part aussi. Et nous nous trouvons très seuls, obligés de réorganiser nos services. Renaut est là pour achever de les mettre en désordre… Pauvre Renaud qu’il est donc assommant.
Les journaux contiennent une note de citation à l’ordre du jour de l’armée où nous relevons le nom de Franchet d’Esperey.
Bon, voilà que réserviste et territoriaux qui n’ont pas rejoint doivent rester dans leurs foyers… et ils sont tous partis. O cafouillage français tu es toujours le même.
Avis aux conscrits de la classe 15 d’avoir à se présenter dans les mairies pour se faire inscrire.
Le gouvernement vient de donner des commandes à Roubaix pour plusieurs dizaines de millions : comme il y a de grosses questions de crédit en jeu M. Mathon part pour Bordeaux délégué par ses collègues, il est accompagné par son beau-frère Eugène Motte.
(Y) Mercredi la sœur d’Emma (ma cuisinière) dont le mari est militaire reçoit des nouvelles très alarmantes. Grièvement blessé il a été transporté à l’hôpital de Chartres et une infirmière écrit de là suppliant qu’on vienne le voir.
Elle se décide à partir avec son beau-père : ils quittent Roubaix le soir à 6 heures et doivent arriver à Paris vers 4 heures du matin… et alors à Chartres dans la matinée. La pauvre femme ne peut emmener son bébé de 15 mois dans ce voyage… je le lui garde jusqu’à samedi ou Emma le conduira à Amougies. Ce bon gros Gustave occupe donc ma semaine… je le garde durant la matinée dans le jardin et l’après-midi il part au Barbieux escorté des enfants qui sont en extase devant chacun de ses gestes. Alcime a le pompon, il le promène le dorlote comme un vrai papa.
On attend de ce côté des nouvelles avec anxiété… pauvres gens. Que le de larmes versées déjà, et nous ne sommes qu’au commencement dit-on.
Vendredi 18. Rien de bien neuf, de nombreux Taube survolent la ville, nous en comptons plus que 20… Mauvaise de Belgique où les dégâts sont considérables.
Dimanche 20 septembre.
Hier on a entendu 3 explosions violentes. Renseignements pris, un Taube survolant la région d’Herseaux a vu les lueurs d’un feu, il a cru à un campement de troupes et a lancé trois bombe.
Nous déjeunons chez nous et, au lieu de suivre la traditionnelle promenade du Boulevard M. Craveri décide de conduire la maisonnée à Herseaux pour voir les bombes. (On avait dit que c’était l’usine de M. Watine qui avait sauté et brûleé). Pour moi je reste au service central où il y a toujours à faire surtout depuis la création des services automobiles dont les membres sont remplis du désir de se promener tous les jours… et les enfants garderont le souvenir de leur promenade, ils ont vu les dégâts que peuvent causer l’explosion d’une bombe, il y a à Dottignies des trous énormes placés en quiconces du feu vu. Ce feu était un simple feu d’herbes et il n’avait rien de commun avec un campement. Une masse de personnes avait dirigé leur promenade de ce côté.
Enfin les Allemands usent inutilement leurs bombes, tant mieux.
Les Ministres sont à Lille enquêtant sur la mobilisation qui, paraît-il, n’était pas ordonnée… Tout ça va toujours de même chez nous… sur le départ des postiers qui n’était pas ordonné… tout cela c’est de la blague, les sociaux font un faffut parce qu’on semble avoir dérangé les hommes pour rien… si les Allemands avaient fait, comme à Anvers 25 ou 30.000 hommess prisonniers on aurait encore bien plus crié… et puis le Trépont est là pour gaffer au mieux.
On nous raconte, en nous remettant une liste de prisonniers de Maubeuge secourus par la Croix-Rouge de Bruxelles que les gardiens d’un train stationné à quelques km de la frontière Hollandaise ont, non seulement laissé fuir, mais même conseillé la fuite de la plupart de leurs prisonniers… Bien étonnant.
Mardi 22 septembre
Nous lisons dans les journaux que Cavrois, le camarade de Maxime, celui qui avait l’air de s’en ficher et qui avait des idées tant soit peu subversives s’est distingué sur le champ de bataille et est proposé pour la médaille militaire.
Mardi 23 septembre
Pas d’enthousiasme pour mon anniversaire, les nouvelles de Maxime sont rares et peu détaillées : nous ne savons où, dans les jambes il a été blessé… est-ce le genou, la cuisse, les balles ont-elles été extraites, ont-elles traversé… Le brave André nous envoie une lettre bien détaillée de la guerre, c’est un résumé bien fait, clair qui nous montre que les nouvelles qui nous sont parvenues jusqu’à présent sont exactes… mais c’est sur Maxime que je voudrais savoir quelque chose.
Le soir à table, on sonne, une dépêche à moi adressée… nous pensons tous à lui… « Venez tous à Amboise vous attendons, Mahoudeau ». Stupeur, quoi venir tous à Amboise, Maxime est donc au plus mal, son état a empiré… cette dépêche est d’hier… J’ai l’idée de retourner le timbre… elle a juste un mois… nous sommes tous décomposés… O ineffable administration que l’Europe a cessé de nous envier depuis longtemps, envoyer un porteur pour une dépêche égarée depuis un mois : comme si elle n’aurait pas pu suivre le courrier. Les idiots, faire une telle peur aux gens.
24 septembre.
Nous évacuons les 12 blessés sur Lille, ces braves gens sont très content de partir, notamment un sergent de territoriale qui, quoi que impotant veut aller dans un camp d’instruction pour commander les bleus puisqu’il ne peux plus marcher.
Dimanche 27 septembre. Réveillé à 2 heures du matin, on vient me dire du Dispensaire que le docteur Calmette a téléphoné à 1 heure que toutes les autos disponibles devaient être à Lille, rue de l’Hôpital-Militaire, à ? heures pour aller chercher des blessés à Arras, à Bapaume, à Albert qui en egorgent.
Je me lève en toute hâte, je fais prévenir M. Ruffelet et allant au Central dont les bureaux sont depuis 2 jours 42 rue des Fabricants, je réveille en passant Nicolas : je fais prévenir Boulton, Desmadryl et M. Mathon.
À six heures nous donnons le départ à 32 voitures. On ne saurait croire combien il est difficile de bouger les gens à cette heure-là et de réunir des chauffeurs qui, en assez grand nombre ne sont plus de service depuis le début de ces hostilités et que l’on doit quérir qui au Blanc-seau ou au brun-pain ou Leers. Heureusement que les autos de Boulton et de Desmadryl sont là pour ce service.
Après les avoir fait attendre 1 heure rue de l’Hôpital-Militaire on leur déclare que la route n’est pas sure et que les autos pouvaient être prises par les Allemands. Dans ces conditions toutes reviennent sauf trois dont deux sont occupées par leur propriétaire, l’une appartenant à M. Boulton, l’autre à Me Mathon, et la troisième à M. Fr. Rousselle.
Ces trois voitures partent pour Arras. Arrivées elles se renseignent à l’hôpital du Saint-Sacrement sur la route à suivre et la direction à prendre. On les envoie à Albert. Les deux premières voitures sont arrêtées par les Français qui les renvoient à Arras chercher un laisser-passer, elles retournent à l’hôpital du Saint-Sacrement ou le service de santé leur donne l’ordre d’aller à Vaulx-Vraucourt chercher des blessés qui se trouve sans soins dans une cave.
Les deux autos repartent, rencontrent les troupes françaises et, à quelques centaines de mètres de Vaulx-Vraucourt se trouvent en face de l’armée allemande alignée en avant de cette localité : elles sont immédiatement entourées et les allemands procèdent à un premier interrogatoire, il les conduisent à Vaulx-Vraucourt pour s’assurer de l’exactitude de leur dire.
Effectivement, on trouve dans les caves un certain nombre de blessés dans la situation la plus pénible : néanmoins les Allemands ne renvoient les deux voitures à Péronne après avoir pris soin de faire monter un homme armé sur chacune d’elles et leur font prendre la route de Péronne.
Arrivés là ordre est donné aux automobilistes de se rendre à l’hospice pour soigner les blessés.
Les dames se mettent à la disposition des médecins Allemands et pendant une semaine elles ne quittent pour ainsi dire pas la salle d’opération où défilent des blessés matin et soir. On leur laissait à peine le temps de manger.
Il fut alors procédé à un nouvel interrogatoire contradictoire devant un Tribunal qui finalement les relâche mais avec défense de quitter la ville et ordre de continuer le service de l’hôpital.
Dans cet hôpital venait tous les jours un prince Allemand, Chevalier de Malte, qui s’approchant successivement de chaque blessé lui prenait la main et l’exhortait à souffrir patiemment pour son Salut, à espérer sa libération, il leur faisait entrevoir les joies du retour… « Il était trop bien » dit Me Mathon.
Les Allemands ayant fait évacuer complètement les villages autour de Péronne, en avaient ramené la population et l’avait casernée en ville. Les dames visitèrent ces malheureux : là étaient réunies des personnes de toutes les conditions et de tous les âges, elles intervinrent auprès de l’autorité allemande et surtout d’un prince allemand pour demander qu’on leur rendre la liberté.
Elles furent assez heureuses pour l’obtenir dans le plus grand nombre de cas. Leur temps se partageait entre les réfugiés et les blessés français.
À la date du 12 octobre elle furent autorisées par le général en chef a quitter la ville à l’insu des autorités locales et à rentrer à Roubaix avec leurs chauffeurs et leurs autos : mais malgré toutes leurs prières elles ne purent obtenir l’élargissement de M. Boulton et Desmadryl qui, nous l’avons su ultérieurement ont été transportés en Allemagne.
Le 10 octobre il était arrivé 27 médecins et 80 sœurs allemandes.
L’odyssée de ces voitures racontée, revenons aux autres. La 3ème voiture charge des blessés au Saint-Sacrement et les ramène à Roubaix.
Toutes les voitures étaient rentrée pour 8 heures à 10 heures ½ M. J. Pollet qui était présent au bureau centrale reçoit une communication téléphonique d’Arras demandant que toutes les autos disponibles de Roubaix et de Tourcoing se rendent immédiatement à Arras où elles recevront des instructions.
Quelques instants après deux appels de la Préfecture de Lille ont pour objet le même ordre sauf qu’ils indiquent comme rendez-vous l’hôpital St-Jean. Les autos de Roubaix repartent toutes avant midi.
Arrivées à Arras le service de santé les envoie à Albert pour chercher des blessés et les ramener à Roubaix : il y en avait un tel encombrement que les blessés était couchés dans les rues, toutes les maisons étant pleines. Quelques autos avaient vainement attendu à Arras l’arrivée d’un train sanitaire qui, toujours annoncé n’arrivait jamais. À la demande du service de santé le voyage d’Arras est recommencé le lendemain.
(Y) Je pense à mon petit Daniel, c’est aujourd’hui son anniversaire… Il n’aura pas le parapluie si fermement promis… quand le reverrons-nous. C’est aussi l’anniversaire d’Arleux… Mais il n’y a plus de fête….
28 septembre
Je fais partir onze convois composés uniquement de 3 voitures avec chauffeur dans chaque et un seul brancardier commandant le groupe car dans le voyage de la ville plusieurs chauffeurs se sont échappés, d’autres se sont amusés à faire de la vitesse ce qui fait qu’à Santes un essieu a été brisé (voiture de Monsieur Bayard) et que des blessés ont failli être abandonné sur place. À midi et ½ j’ai un convoi sans convoyeur, Jean est là je l’en charge, il est rentré à 18h le soir et m’a raconté qu’à Arras il a demandé la route un officier qui l’a piloté ou tout au moins l’a mis dans le bon chemin, il a été à Albert et est revenu à Roubaix avec cinq voitures chargées de blessés, sans autres incidents. Il racontera lui-même son voyage.
Monsieur Bouchez de Croix que j’avais chargé d’un convoi raconte :
Trois voitures, M. E. Roussel, Lemaire, Billies.
Départ à 11 heures par Haubourdin pour laisser à Santes un ouvrier chargé de réparer une auto laissée en panne la veille.
Arrivée à Arras à 1 heure en pleine panique… les ennemis se trouvait disait-on aux portes de la ville et installé aussi dans le cimetière avec des mitrailleuses.
À l’ambulance du Saint-Sacrement, où nous devons nous rendre nous apprenons que la route d’Albert était occupée par les Allemands et on refuse de nous donner des blessés pour Roubaix.
Un monsieur très complaisant me conduit à l’ambulance ou la directrice en l’absence du major traitant refuse de me donner des blessés malgré l’ordre du major-chef… On appelle le sergent-infirmier et nous partons à la recherche du major 3 gallons, pendant ce temps les blessés évacuable se préparent à partir.
On me donne 2 blessés de cet hôpital et 11 à prendre à l’hôpital Parisis.
Les voitures sont au complet.
Départ de Arras à 3 heures un peu au-delà de Sainte-Catherine nous apercevons des Gouniers (1000 à 1200 environ). Après avoir passé le premier groupe signal d’arrêt un sous-officier indigène vérifie nos papiers et nous continuons, un peu plus loin dans la côte et après un tournant brusque un lieutenant d’infanterie posté avec deux automitrailleuses nous demande des renseignements sur ce que nous avons vu en route. Retour à Roubaix sans autre incident : nous déposons nos 13 blessés la fraternité. F.Bouchez
Dans une voiture appartenant à Monsieur Lalouette et conduite par son fils âgé de 17 ans était monté sans me prévenir le jeune Delattre (André). Ces jeunes gens aussi fous que jeunes au lieu de suivre les instructions formelles qui étaient de se tenir à la disposition du brancardier conducteur du groupe sont partis d’Arras pour Albert sans attendre. Le soir ils ne sont pas rentrés d’où inquiétude folle de leurs parents et de nous-même, pendant 3 jours. Ils sont restés prisonniers des français qui ne voulaient pas les relâcher.
De même Eugène Lepoutre parti le 29 septembre alors que les voitures ne devaient plus s’éloigner est resté absent 4 jours prisonnier des Français qui l’ont relâché mais ont exigé qu’il abandonne sa voiturette.
29 septembre. de Ségur est définitivement installé, nous devons recevoir la visite du docteur Calmette lundi prochain pour la réception officielle de l’ambulance. Yvonne est désignée comme dame responsable des salles 2 et 3. Bichette et Me Craveri sont ses aides : Melle Butruille est l’infirmière titulaire. À la vérité c’est l’infirmière qui commande la salle, elle a pour mission de soigner, panser etc. les blessés, la dame responsable est une invention de Madame Th Roussel pour faciliter le service et assurer le bonne ordre de toutes choses, la confection des lits, le balayage, la distribution de la nourriture le changement de linge, la vidange des eaux etc.… Sauf pour les travaux trop lourds elle doit ce service jusqu’à la porte de la salle ou des brancardiers et des infirmiers doivent ensuite compléter le travail… Quand on doit aussi déplacer des hommes les changer de lit on a recours à eux et aux hommes de garde.
Les nouvelles des journaux sont assez bonnes, encore qu’incertaines, en revanche les journaux locaux donne des nouvelles peu rassurantes, 4000 Allemands sont à Wattrelos, où vont-ils aller ? À Tournai ils font une réapparition et affichent les défenses formelles de circuler à bicyclette, d’entretenir des pigeons voyageurs, d’avoir des armes etc….
Alost est en feu, Malines très abîmé par un bombardement très violent : Péronne est nous dit-on délivré mais dans un état lamentable.
Mercredi 10 septembre. Voilà deux mois de passés : nous les arrêtons, c’est beaucoup. Du côté belge ils avancent, pourvu qu’il ne prennent pas Anvers. Ils sont entrés à Malines et vont petit à petit tout occuper. Que deviennent les troupes passées ces jours-ci à hersaux et allant vers Tournai ? Allons-nous les couper ?
M. Le Friec, directeur départemental a été mis en disponibilité, c’est une saleté, car M. Le Friec a reçu et a encore l’ordre écrit du Préfet de faire évacuer son personnel et de détruire son matériel. M. Fr. Roussel qui a assisté à l’enquête dit que ce fût vraiment tragique. Quand le Ministre demanda à M. Le Friec « vous avez l’ordre qu’on vous a donné ? » il fait le geste de le prendre dans sa poche, le Préfet devient vert… Alors M. Le Friec dit « non, pas maintenant, je ne l’ai pas… » et il se laisse condamner officiellement pour sauver le lâche préfet du Nord… ça se retrouvera et c’est nous qui paierons les frais. Trépont est trop puissant chez les trois points pour qu’on l’inquiète.
M. Fr. Roussel a eu l’amabilité de me faire remettre 500 francs par la Chambre de Commerce : c’est heureux car les fonds baissent joliment. Et qu’y faire.
1er octobre Jeudi, les enfants passent la journée chez les Craveri. Le collège doit ouvrir lundi, bien des professeurs manquent.
Les journaux donnent bon espoir, pourtant nous voyons la Turquie prête à attaquer les Russes. Ces derniers occupent toujours toute la Galicie et ont même pénétré en Hongrie et au sud de Przémilsl. La sécurité renaît, mais il me semble que les Allemands vont se replier ne pouvant pas passer et vont traverser nos pays. Les ponts du nouveau boulevard sont gardés militairement par les territoriaux de Dunkerque et on passe même si difficilement que nous avons dû nous priver de nos autos et aller soit en Mongy soit en car F.
À Tournai toute la garde civile belge est réarmée et les drapeaux alliés flottent sur toutes les fenêtres… Vive la joie.
Nous recevons une lettre de Me Tarbagayre demandant des nouvelles d’une famille de Lille dont le mari blessé est en traitement à Rochefort depuis le début d’août et qui n’a jamais reçu de réponse à ses nombreuses lettres. J’envoie à Lille un express qui me rapporte une note au crayon que je transforme en lettre car la femme ne sais pas écrire et l’enfant n’a que deux ans.
Nous recevons une réponse à la lettre que Yvonne a écrite à l’usine Bergoughnan eux non plus ne savent rien de Léon qui était à Strasbourg le 30 juillet et qui à quitté précipitamment pour rejoindre son corps à Vincennes : il a écrit un mot à sa maison le 30, en repassant la frontière… son silence nous peine, Yvonne lui a écrit plusieurs fois, elle arrive de la mairie où elle a été donner son nom à une agence qui recherche ceux dont on n’a pas de nouvelles… cela ne donne pas de grands résultats, mais enfin cela donne de l’espoir. Nous avons là ou plutôt il a envoyé à Michel des cartes postales des Landes les 5-7-9 et 13 juillet, de là sans doute il avait gagné l’Alsace… tout cela est pénible.
Vendredi 2 octobre. Toujours d’excellentes nouvelles dans les journaux « la situation générale est satisfaisante », dit le communiqué officiel : la débâcle est complète du côté autrichien, annonce Petrograd… mais je lis que la petite ville d’Albert où Jean était il y a 4 jours a été bombardée le lendemain par les Allemands et qu’elle a beaucoup souffert…
Quelques hulans sont venus rue de Lannoy, ils ont vu la Fraternité ont demandé s’il y avait des soldats et ont tourné bride sans plus d’explications… Le docteur Butruille vient me voir pour me mettre au courant de cet événement et tâcher de sauver nos blessés si c’est possible. Nous décomptons nos blessés ils sont 110 tant à la fraternité, au collège de jeune fille (Dames françaises) que dans nos formations. Nous nous rendons chez le Commissaire Central et téléphonons d’abord à la préfecture ou après quelques tergiversations on nous répond que ce n’est pas de leur compétence, que c’est l’affaire du Docteur Calmette, mais qu’il n’y a aucun danger.
Nous téléphonons, ou plus exactement Butruille téléphone au bureau du Docteur Calmette. Il est absent, son secrétaire répond « ne bougez pas je vous rendrai réponse dans la soirée » et nous voilà bien avancé. M. Mathon a recommandé de ne rien faire sans ordres et il n’est pas là… si j’étais seul je sais bien que je passerai par-dessus l’absence d’ordres et que je ferai partir monde à Lille où il se trouverait dans une formation militaire.
L'affaire d’Orchies s’est terminée d’une façon tragique, les Allemands battus le matin sont revenus en force le soir et comme il n’y avait plus d’ennemis, les anglais faisant leurs randonnées en auto et retournant toujours à Dunkerque le soir ils cernèrent la ville et l’incendiaire méthodiquement de sorte qu’à l’heure actuelle il ne reste pas un seul monument, pas une seule maison debout mais des ruines fumantes que les habitants ont dû abandonner pour se réfugier dans les villes voisines : on dit que nombres de personnes ont été tuées.
(Y) Je rencontre le fils de M. Rosticher qui malgré la défense paternelle et les dangers à courir est allé voir, comme la jeunesse et imprudente : il pleure en racontant ce qu’il a vu dans les approches de la ville il y a des quantités de vieillards abandonnés, des enfants seuls, tous sont hébétés, ils attendent la mort, dit un vieux de 85 ans, sa femme n’a pas pu se sauver, elle est sous les ruines… c’est navrant.
Le bombardement d’Anvers continue, on dit qu’Anvers est entourée d’eau sur les 2/3 de sa périphérie, cette ville n’est protégée sur le dernier tiers que par un fossé de 20 mètres, c’est bien insuffisant, elle ne va pas tenir longtemps en raison de cette circonstance… et l’armée belge qui est presque tout entière…
Le bruit court qu’une masse imposante d’allemands descend de Leuze vers Tournai où une panique indescriptible s’est produite hier. J’ai vu arriver à Herseaux des fuyards de Tournai, mais il parait que c’est prématuré.
Sur la Palce à 10 heures c’est un véritable envahissement de personnes de Tournai. Il en arrive de toutes façons, en charrettes, en voitures, ces gens ont perdu la tête : une dame qui a emporté son bébé de 6 mois n’a même pas pris de linge pour lui elle en achète « aux bruyères » et là elle me raconte (à moi qu’elle n’a jamais vu et dans ce magasin) que son mari qui est adjoint au maire est arrivé et l’a mise dans l’auto avec ses 7 enfants et l’insyitutrice sans lui laisser le temps de se retourner : les enfants sont en tablier, la dame sans chapeau. Heureusement, dit-elle, qu’il m’a donné de l’argent, et devant moi elle ouvre son portefeuille et compte vingt cinq billets de mille francs… elle se loge à l’hôtel… je ne l’ai plus revue…
Samedi 3 Octobre. Les journaux du matin sont moins optimistes pour notre région.
M. Delasalle, maire de Lille fait paraître une proclamation invitant les habitants au calme en cas d’arrivée des troupes allemandes.
M. Mathon qui est rentré la veille de Bordeaux est toujours optimiste.
A 5 heures on affiche que la totalité des voitures automobiles doit être rendue à Saint-Omer le lendemain dimanche à 9 heures du matin. C’est un va et vient formidable car les autos sont encore très nombreuses.
Beaucoup de personnes sont sans chauffeurs et l’on se met en quête de gens sachant conduire.
M. Mathon rentre de Lille il a vu le Préfet à 5 heures. Il conseille de faire partir en même temps les jeunes gens et les hommes mobilisables. M. Mathon insiste pour que M. Ruffelet et les autres s’en aillent : il me dit que s’il avait un fil de l’âge de Jean il le ferait partir… Ruffelet se décide au départ, je lui demande de prendre Jean et Jules et il offre de le loger avec lui dans sa villa de Wimereux « le vieux logis ». il accepte aussi de prendre Maurice Barkard.
D’ailleurs lui-même emmène ses jeunes enfants et il laisse sa femme qui, infirmière de la Croix-Rouge ne peut s’absenter. Le départ est fixé à 5 heures du matin. Le départ est fixé à 5 heures du matin :personne n’est très impressionné :le Préfet d’Arras vient de téléphoner à celui de Lille « C’est l’affaire de quelques jours, le temps de les laisser regagner leur pays, on leur a fermé les autres routes »….
Je cours à la maison pour prévenir Yvonne afin qu’elle prépare un baluchon nous estimons que ce n’est que pour une huitaine au plus car jamais les français ne laisseront les allemands venir ici, c’est une mesure de prudence éventuelle : du reste nous l’avons si bien compris ainsi que j’ai assumé tous les services de Croix-Rouge avec Nicolas qui me secondera.
Je vais chez M. Craveri où je ne rencontre que la bonne à laquelle je dis : « Vous direz à M. Craveri que les autos partent demain, que je trouve d’une prudence élémentaire de faire partir Jean, et que j’ai une place pour Jules, qu’il fasse comme il voudra mais je crois que c’est sage. »
A 7 heures Jules, M. Craveri, Bichette viennent nous voir pour savoir ce que nous donnons à Jean etc… A 7 heures Jules revient avec un de ses amis qui désire partir… puis ce sont tous les Cavrois et tous les Pollet qui viennent me demander conseil. A tous je dis qu’il est sage de partir : nous ne sommes pas en danger mais nous sommes menacés :quand nous serons en danger il sera trop tard. Déjà les voies vers Ypres sont peu sures en tout cas on ne peut pas aller au-delà de Courtai car de nombreuses patrouilles allemandes sillonnent le pays.
La pauvre Yvonne est aux champs d cette séparation…
Dimanche 4 Octobre
Lever à 4 heures à 5 heures ½ nous sommes rue des Fabricants où Monsieur Craveri et Bichette viennent conduire Jules. J. Nicolas, qui devait rester avec moi est là, il part cédant aux obligations de sa famille et… de lui-même, son assurance d’hier soir me paraissait forcée, il criait trop fort : « Moi je reste, moi, je reste, moi je ne fuis pas… »
Dans l’auto de Desmadryl prennent place Ruffelet, Nicolas, Jean, Jules, les deux enfants Ruffelet. Ils partent à bonne allure et doivent prndre la route Ypres, Poperinghe, Hazebrouck car nous craignons l’encombrement et les dangers de la route par Armentières qui sera suivie par la majorité des voitures d’ici, de Tourcoing, de Lille.
La voiture partie arrivent Ch. Lefebvre avec son baluchon, Bouvy avec son baluchon : il y a un train à six heures et ils vont le prendre. Puis je vois parti Delmasure ( ?) seul dans sa voiture.
Je reviens et je rencontre Me Prouvost qui cherche une place pour son fils et qui est furieuse contre Ruffelet parce qu’on ne l’a pas attendue… elle le lui avait fait demander par Madame Motte qui l’avait demandé à Madame Pollet qui l’avait demandé à Madame Dautremer qui avait demandé à son gendre s’il s’en chargeait ??????? Il avait dit oui, mais ne voyant venir personne il était parti.
Enfin, j’arrive à le faire partir. Plus loin je réquisitionne deux autos pour transporter d’autres évacués… et alors la ville nous semble vide et une émotion intense nous saisit…
Vers 10 heures je retourne au service central dont je deviens seul responsable, je téléphone à Lille au service de santé pour demander l’évacuation de nos 110 blessés de Roubaix : on me répond qu’il ne faut pas bouger, que tout est bien ainsi et qu’il n’y a pas de danger.
Plus tard je vois arriver M. Ch. Lefebvre et M. Bouvy qui rendus à la gare, (toujours leurs baluchons à la main) et voyant qu’ils étaient seuls à partir se sont décidés à rester. Mais j’apprends que M. J. Dazin, administrateur du Dispensaire, M. Duchange, administrateur de l’Epeule sont partis sans tambour ni trompette.
Voilà aussi notre comptable qui n’a laissé que les clefs de la caisse et les livres peu en ordre… nos gens sont de bonne volonté… et d’occasion ce qui fait que leur inexpérience répecute sur leurs services.
Le soir j’ai réglé avec M. Mathon la question dispensaire, je fais mettre M. Jacques Motte à le tête de cette ambulance.
Quant à l’Epeule M. Mathon me laisse carte blanche. J’y nomme M. Goffin : mais j’apprends par M. Paul Jonville que M. de Marcilly, le second administrateur, est très intimidé, très déprimé et qu’il craint de le voir flancher. Je le remplace par une autre personne.
A de Ségur c’est M. Bleuez qui remplace M. Valentin évacué avec son auto (mais qui doit revenir tout de suite).
Nous déjeunons ici, heueusement que penda,t le repas nous recevons une dépêche de Jules t de Jan, datée de Saint-Omer :la journée est lamentabl car nous avons la proccupation de l’arrivée de nos enfants.
Vers 5 heures nous apprenons que la voiture de M. Ed. Motte est entrée en collision avec une autre aux environs d’Armentières et que le chauffeur est quasiment tué…
Le Journal mentionne la blessure de Maxime, c’est je crois Monsieur Craveri qui l’a fait insérer.
Les nouvelles d’Anvers sont moins bonnes, on se replie et du côté de Bruxelles des forces importantes se concentrent.
Le Maire de Roubaix fait afficher :
DU CALME TOUJOURS DU CALME
Des patrouilles allemandes circulent dans notre ville.
Nous recommandons une fois de plus à la population roubaisienne le calme le plus complet.
Que personne ne pousse un ci, que personne ne fasse un geste hostile.
Il y va de la sécurité de tous.
Roubaix, le 4 Octobre 1914
Le Maire
Lebas.
Le soir on entend le canon dans le lointain, très sourd. On dit qu’ils se battent du côté de Lesquin, qu’ils y ont été repoussés. C’est d’ailleurs dans cette région de Lens-Lesquin que l’état major français désire la grande bataille.
Elle parait commencée et à notre avantage d’après ce que l’on dit… tant mieux car la durée d’absence de nos enfants et la reprise des communications avec le reste de la France sera très prochaine. Les courriers en effet e raréfient depuis trois jours les trains de ou pour Paris n’ont plus d’horaires, il paraît que nous transportons des masses considérables de troupes et que nos trains du Nord doivent passer par Boulogne et Calais pour arriver à Lille : en somme nous n’avons pus aucun courrier depuis bien des jours : pourtant les nôtres doivent nous écrire. Pas un mot de maman depuis 10 jours, rien de Marrain… Sophie est devenue muette… tout ce mond là doit être inquiet de nous.
Lundi 5 Octobre. Le canon continue à se faire entendre. Les journaux du matin sont assez rassurants : le communiqué officiel français dit en effet que nous avons repris l’offensive dans le Nord.
Du côté d’Anvers rien de bien fameux : l’infanterie alliée se replie « en bon ordre » oui mais se replie tout de même…
Les Allemands sont passés en force à Tournai : ils se dirigent sur Orchies, Douai, ils marchent par 12 de front et défilent en masses compactes pendant six heures.
Dans les ambulances les dames font beaucoup de chichi et blâment ouvertement M. Ruffelet et les autres qui sont partis hier. On voudrait les voir rayés de la Croix-Rouge et montrés du doigt. J’ai beaucoup de peine à faire comprendre aux uns et aux autres qu’il n’y a pas lieu de se fâcher de critiquer etc… et que le mouvement a été commencé par M. Mathon lui-même et qu’il était d’ailleurs très naturel.
Monsieur de Marcilly va donner sa démission, je nomme M. Dupin à sa place. L’amabilité de M. Dupin balancera près de Me E. Rousselet Ed. Terninez la rudesse de M. Goffin. Et la journée se passe à remettre les services en ordre.
Quelques hulans traversent la ville.
Le collège n’a pu ouvrir, c’est malheureux parce que les enfants sont à charge à eux-même. Ce sera pour le 9 Octobre, la plupart des professeurs n’ont pu regagner leur poste. Ceux qui ont été à Douai où il y a des Allemands depuis le 20 août ont peut-être été faits prisonniers.
Tout cela est bien ennuyeux, cela va avec le reste.
6 Octobre Je rencontre un employé des postes qui me narre qu’on était tellement encombrés de corrspondance qu’on a vidé des centaines de sacs qdans les rivières… étonnez-vous après cela que nous soyons sans nouvelles…
Les trams arrêtés depuis dimanche sont remis en marche mardi matin. Une alete sérieuse a eu lieu à Lille dimanche matin : un parti allemand arrivé à Lille en chemin de fer, ans un train blindé, s’est heurté à des chasseurs à pied avant-garde des défenses qui viennent de Lille. C’était bien la peine de fuir au moment de l’envahissement pour ensuite défendre la ville… en tous les cas nous sommes dans de jolis draps.
Nous avons des détails de l’action par le Journal de Roubaix : messieurs les allemands ont dû être déçus.
Les patrouilles allemandes traversent Roubaix. Une auto pass à toute vitsse on dit qu’elle contient des officiers français en reconnaissance.
La foule suit les Allemands… c’est odieux à voir.
Je téléphone de nouveau au docteur Calmette pour demander l’évacuation des 110 blessés sur Lille, puisque Lille va être défendue ils y seront plus en sécurité… toujours même réponse « ils sont aussi bien chez vous ». Il est certain que c’est la débandade. Il en passe des quantités à Herseaux se dirigeant vers Mouscron. Ils sont harassés.
M. L. Watine en a vu un tomber de cheval, il a été battu d’une façon atroce et laissé pour mort sur place. Deux autres sont entrés à l’estaminet de la douane belge et s’y sont mis à dire leur chapelet. Certainement les routes de Fagnes et des Vosges sont coupées car rien ne nous paraît expliquer ce changement de front. Ces troupes disent revenir de Verdun. Nous avons au Raverdi un lieutenant de dragons qui s’est battu avec ce même corps à Lunéville. Aux deux bouts du pays envahi quoi.
En passant à Mouscron ils ont saccagé la gare. Ce ne fut pas long, raconte Vandeghem, au commandement, avec ordre et méthode ils ont procédé à l’ablation des fils télégraphiques et téléphoniques et brisèrent les Saxby. Ils sont redescendus de Mouscron sur Tourcoing et finalement ont été coucher au Mont d’Halluin. On croit que ces troupes veulent aller à Armentières.
Monsieur Lebas fait afficher l’avis suivant :
RECOMMANDATION A LA POPULATION
Ce qui s’est passé dans notre ville ce matin nous oblige à renouvelr à la population nos appels à la prudence et au calme.
Parce que des patrouilles allemandes ont traversé Roubaix des masses d’hommes et de femmes les ont suivies ou se sont enfuies. Ces deux attitudes sont également déplorables.
Nous vous répétons une fois encore, et nous ne nous lasserons pas de le dire parce qu’il y va de votre vie, quand des soldats allemands passent dans la rue, si vous êtes près de chez vous rentrez-y de suite :si vous allez à votre travail ou si vous allez faire des achats ne formez pas ces attroupements qui sont interdits, ne vous arrêtez pas, continuez tranquillement votre route.
Ecoutez-moi, suivez nos conseils et nous vous assurons que vous n’aurez pas à craindre pour vous et notre cher Roubaix
Hôtel de ville le 5 Octobre 1914
Pour l’administration municipale
Le Maire : Lebas.
Une dizaine de soldats allemands ont été tuée près de Lille, au passage du pont de la Madeleine sur le nouveau Boulevard et près du tramway Mongy, on dit qu’ils sont enterrés dans le dépôt même près de l’entrée et très à fleur de terre…
On vend quelques journaux illustrés qui donnent des vues de Reims, de Dinant etc… M. Craveri, retour de Londres en a rapporté une belle collection.
Le canon gronde très fort.
Mercredi 7 Octobre. Anvers résiste toujours, les gens de la région de Renaix disent qu’ils l’entendent très bien.
A Lannoy un charretier de Roubaix a rencontré une troupe bavaroise, parlant flamand il a pu comprendre et se faire comprendre : ils lui ont dit qu’ils avaient fini dans l’est et qu’ils marchaient sur Paris. Ils semblaient croire n’être plus qu’à 20 km. Quand le charretier leur a dit qu’ils en étaient de 300 km ils lui ont ri au nez.
Au cours de la conversation ils lui ont donné un balle bin curieuse ayant le bout en nickel, méplat alors que leurs balles D sont longues et pointues en cuivre. Monsieur Renault voulait absolument que ce fut une dum-dum.
Nous en avons dressé procès-verbal, l’avons communiqué au consul d’Amérique et, à la demande de M. Lebas, l’envoyer au Préfet, M. Lebas a écrit une lettre d’envoi. Nous attendrons quelques jours, la route de Lille étant peu sure.
D’après les journaux Jean l’a échappé belle le jour de son équipée d’Albert, la ville a été bombardée le 29, c’est-à-dire le lendemain.
Il y a cependant du bon, les ministres et le président rentrent Paris, le danger s’éloigne et dans quelques jours il n’y aura plus d’Allemands en France.
Jeudi 8 Octobre. En allant à Herseaux j’ai vu des Allemands, une patrouille de 30 dragons environ stationnant près de la douane. Les chevaux ont l’air fatigués et ils ont des sentinelles qui, debout sur les étriers, inspectent l’horizon. Elles ont bon air et avec leur lance semblent peu disposées à plaisanter.
On inaugure « de Ségur » aujourd’hui sans Calmette qui semble fondu, évanoui, disparu depuis que le canon a grondé… n’en disons trop rien.
On dit la messe pour l’ambulance et dans l’ambulance : Yvonne, dame titulaire des salles 2 et 3 y assiste. On admire l’installation généreuse mais… les mauvaises langues prétendent que Me Fr. Roussel ferait bien de veiller à sa caisse.
M. Mathon parti depuis deux jours à la recherche de sa femme et d sa fille rentre sans rien savoir, il n’a pas pu dépasser Béthune.
Ce matin nouvelle dépêche de Wimereux, ils sont tous bien.
Ici on annonce dans tous les environs de grands passages de troupes, 25.000 à 30.000 hommes aux environs de Mouscron, Tourcoing, Halluin. L’état-major couche chez M. Desurmont à Roncq, il a pour chef un archiduc autrichien et le prince royal de Wurtemberg.
Naturellement les civils ont beaucoup souffert : maisons pillées, paysans tués. A Linselles un homme et son fils, à Halluin deux paysans… triste…
Ils ont réquisitionné du pain. Hier les troupes de Tourcoing ont marché sur Courtrai via Mouscron Meulebeke. Her m’a dit avoir vu de ses yeux des cavaliers laisser leurs chevaux pour aller faire le coup de feu en tirailleurs, et dès la première fusillade, tous les chevaux qui évidemment n’étaient pas des chevaux de guerre prirent la fuite et les gards de courir en vain… C’était une joie.
D’ailleurs leur déroute est complète, le chef de gare d’Herseaux lui demandait s’ils seraient bientôt dans les faubourgs de Paris, et devant l’étonnement du chef de gare ils lui expliquait qu’ils devaient, d’après leurs chefs coucher à Puteaux…
Quand le chef de Gare a vu cela il lui a montré, à l’extérieur sur la Gare le nom de la localité et le lui a fait lire et répéter deux ou trois fois puis déployant la cat du sous-officier il lui a montré l’emplacement d’Herseaux et la position de Paris… ce voyant l’autre a pleuré en disant : « Chefs mentir, nous caput ».
Ici tout le monde est confiant, c’est la fin, encor quelques jours et nous serons délivrés, les nôtres rentreront… nous télégraphions à nos évacués de ne pas quitter Winereux sans nouvel avis de nous, il vaut mieux attendre quelques jours de plus.
M. Charlet, de Tourcoing (de l’ancienne maison Lehoucq et Charlet), est venu nous voir, il organise un service de renseignement sur les prisonniers de Maubeuge et sollicite notre concours… financier : nous lui promettons notre réponse dans quelques jours.
Anvers ne va pas… le Journal de Roubaix insère d’après le Handels Blatt ( ?) : « Le commandant allemand annonce que le bombardement commencerait à 3 heures (sous réserve) ». Ce sous réserve ne me dit rien qui vaille ;
Le brave garde-champêtre de Westoutre a été fusillé, l pauvre homme, on l’a attaché à la grille du cimetière, devant sa maison, et là devant tous, parce qu’il avait fait sa tournée au Mont-Noir avec un bâton et un révolver. Les Allemands n’admettent pas que les agents de la force publique soient armés.
Le bourgmestre et quelques habitants du villa ge ont été fustigés devant tout la population. M.M. Cuisinier seront bien émus en apprenant cela, ils passaient leurs vacances à Westoutre et avaient les meilleures relations avec ce vieux brave homme.
Vendredi 9 Octobre. Nous sommes toujours sans nouvelles de Léon, cela nous tourmente. Une petite lettre bien touchante d’André Quillard… Quand reverrons-nous tout ce monde.
Les journaux de ce matin sont très calmes, les communiqués officiels disent que les attaques allemandes ont été repoussées et qu’au nord d’Arras ils se replient, il y a du bon, car vraiment de les voir ici ne souriait à personne.
Le Journal de Roubaix donne des détails rétrospectifs, très intéressants, sur l’occupation allemand dans la région. Je ne puis les reproduire intégralement, j’ai les articles de journaux. Il faut seulement noter que toutes les troupes allemandes sont venues de Valenciennes, elles avaient combattu à Péronne, Albert, ce sont les débris de l’armée Von Gluck qui paraît-il est très éprouvée. Elles sont venues également de la rgion de Reims, Verdun par Lourches où elles ont-elles ont quitté leur train pour faire en une seule étape Lourches-Roncq, ce qui explique amplement leur délabrement en arrivant à Herseaux.
Il y avait parmi elles un convoi de 220 voitures et des convois de canons et de munitions.
M. Watine qui va à Herseaux tous les jours raconte tous les soirs qu’il a vu passer des troupes toute la journé. Toute l’armée de Bavière doit être là, ce quiconfirme notre opinion première sur les causes de cette retaite.
Hem, Halluin, Néchin, Roncq, Linselles, Bousbesque, Werwicq, Neuville ont été occupés, l’état-major du prince royal de Bavière étant chez M. Leurent.
Les enfants, rentés le matin même au collège reviennent : une grande partie des professeurs est partie pour Lille prendre les ordres de Monseigneur Charost.
Je encontre M. Burckard qui, malgré tout ce que j puis lui dire va faire partir son fils… il y a huit jours il m’a traité de ridicule parce que j’ai fait partir Jean… errare humanum est…
Des milliers d’hommes prennent la route de Lille qui, par le car F qui à pied, car les Mongy ne marchent pas depuis dimanche… c’est une déroute incroyable.
C’est le Préfet qui a donné l’ordre téléphoniquement de faire partir tout cemonde. M. Watine n’a pas voulu quitter Roubaix, trouvant, avec raison la mesue dangereuse. Les fils Cavrois, les fils Pollet (Maurice), le fis Gilmant, ls deux Lefebvre, Vandenbruwaenne, Chatteleyn, les deux fils Isbecque, etc… plus de dix mille hommes sont partis de Roubaix.
Le soir la ville est morts et une impression de tistesse encore plus grande vous étreint le cœur, c’est pire que le jour du départ des autos.
Samedi 10 Octobre (Y) Je vais à la messe de 8 heures et en reviens le cœur serré : ceux qui ont vu partir les leurs hier sont dans une angoisse indescriptible… que sont-ils devenus… il faut bien se rendre compte qu’il ne restait pus que les très jeunes gens, classe 15 et 16 et les pères de famille… c’est vraiment la consternation… beaucoup de mères de famille ont pris seules la détermination de faire rester ou partir leurs fils… on ne peut se figurer leurs émotions.
En rentrant je trouve un agent à la porte, il entre avec moi sans que je lui dise dans le petit bureau et me dit d’un air navré : « Vous attendez des nouvelles d’un soldat ? J’ai ici des papiers à vous faire signer (heureusement que je savais où était Maxime !) Tout de suite je pense à Léon. Voilà me dit l’agent une note de décès que je vous prie de signer… le cœur me manque… pauvre garçon…
Je lis : Léon de Ribière, brigadier au 25° d’artillerie a demandé de prévenir la famille de Laubier etc… blessé à Sésame dans les combats du 5 seprmebre mort le 8 sur le chmp de bataille… je signe… et l’agent me regarde, je pleure ne lui rendant la feuille… alors il me dit d’un air gêné « ce n’est pas votre fils ? » - Non, c’est un cousin dont nous étions la seule famille et que nous aimions beaucoup – Ah, me dit-il que je suis content, dans les maisons où ce sont les fils ce sont de telles révolutions que je ne peux pas obtenir de signature… et en me montrant sa sacoche il me dit, j’en ai là pour toute ma journée… il sort. Je le plains. Que d larmes vont être versées.
Ainsi ce pauvre Léon est mort tout à côté de Maxime… combien il a dû souffrir durant ces trois jours… a-t-on pu établir une ambulance sur place même… est-il mort sans aucun soin et faute de soin, et sans une parole de consolation et de réconfort… je suis navrée, les enfants pleurent, Michel est inconsolable, ils s’écrivaient souvent, Michel en parlait sans cesse. Mon Dieu que tout cela est triste.
(G) Je vais au central à 8 heures. Très étonné de rencontrer au bas de la rue de Lille quelques jeunes gens qui reviennent de Lille où ils ont passé la nuit, ils n’ont pas osé aller plus loin en raison de la cohue.
Hier soir j’ai fait deux officiers au Reverdi. Me Cavrois-Pollet m’a prêté obligeamment son auto. Ils sont évacués dans la voiture de Me Pollet-Motte, avec le cheval de je ne sais qui et le cocher de Salembier. Le départ devait avoir lieu à 7 heures mais à 8 heures ½ le cocher est arrivé plein comme un tonneau. Jusqu’à ce moment nous avions toujours espéré avoir la voiturette d’Eugène Motte, le chauffeur est resté introuvable.
Ces deux officiers sont partis en uniforme et armes de telle sorte qu’ils ne soient pas fusillés en cas de encontre avec les Allemands.
La journée se passe dans l’anxiété quand à 5 heures commence une violent canonnade toute proche de nous. Elle dure de 5 à 6 heures, la ville est en émoi.
A six heures ½ arrive Vandenbruwaenne qui nous dit être resté à Lille parce que le désordre qu’il a trouvé à la Préfecture, les instructions contradictoires qu’il a reçues du Préfet lui-même à ¼ d’heure d’intervalle l’ont rendu circonspect. D’ailleurs la cohue était indescriptible, à 10 heures du soir plus de 20.000 ( ?) se trouvaient sur la plcea de la préfecture attendant qu’on leur dise qu’ils pouvaient partir sans danger.
A 2 heures il est revenu par la route de Mons : ais au fort de Mons il a vu arriver une colonne d’Allmands avec deux jeunes gens prisonniers qui marchaient devant. Il est entré dans un estaminet tenu par une vieille femme qui l’a caché au grenier. Les Allemands sont entrés, ont bu, ont demandé la route de ?rcq. Il a dû rester caché pendant trois heures tant il a passé de troupes.
A six heures on affiche,
Ordre du grand quartier général des armées de l’est.
17 septembre 1914
« Tout Allemand rencontré en arrière des troupes françaises ayant quitté son uniforme et revêtu des habits civils, sera considéré comme espion et traité comme tel.
« La personne qui aura fourni volontairement les habits civils ainsi que les personnes qui ayant connu le fait n’auront pas averti l’autorité militaire peuvent être poursuivies comme complices devant le conseil de guerre.
« Tout Allemand rencontré sans armes en arrière des troupes françaises devra être appréhendé et enfermé dans un local sûr d’un village voisin, s’il ne peut pas être emmené de suite. Aucune autorité municipale ne peut refuser d’accepter un prisnnier en dépôt sous peine de s’exposer à des mesures de rigueur.
« Si la capture est faite par les autorités civiles, ou si celles-ci connaissent la présence dans leur commune ou dans son voisinage d’un Allemand qu’elles n’ont pas pu arrêter elles doivent en aviser de suite les autorités militaires les plus voisines, qui prendront les mesures nécessaires pour diriger les prisonniers vers l’intérieur du territoire.
« Tout Allemand rencontré en arrière des lignes commettant des actes de banditisme sera exécuté sur le champ. Il en sera de même d e tout allemand armé qui ne se rendra pas à la première sommation.
« Toute troupe de plus de trois allemands en armes, rodant en arrière des lignes sera considérée comme un groupe commettant des actes de banditisme.
« Tout individu civil ou militaire quelle que soit sa nationalité rôdant sur le terrain des champs de bataille et convaincu d’y avoir commis des vols sur les morts ou les blessés dans des maisons abandonnées ou autre etc… sera traduit en conseil d guerre : la peine en certains cas peut être la peine de mort.
Le général de division
Directeur de l’arrière
Laffon de Ladebatt.
En retournant à la maison nous rencontrons de nombreux groupes très animés, furieux contre le Maire, furieux contre le Préfet : il paraît qu’il y a eu de nombreux prisonniers parmi les mobilisés partis hier.
Dimanche 11 Octobre
Je me rends à la messe de 8 heures à Saint-Martin, au bout de la rue de Lille je rencontre deux jeunes gens sales, boueux, éreintés. Je les interroge. Partis de Roubaix vendredi ç 4 heures, ils étaient à 6 heures à Lille, là on leur indique la route d’Haubourdin, mais au moment de franchir les portes on les arrête, on ferme les portes et on leur dit d’attendre, la route n’est pas sûre on les préviendra. Ils attendent jusqu’à 10 heures, ils sont 10 à 15.000. Enfin à 10 heures ils partent en colonne serrée. Ils arrivent à Haubourdin à une heure du matin, envahissant les maisons, fermes, granges, estaminets et dorment comme ils peuvent.
A 7 heures ils ont cassé une croute t se remettent en marche. Au fort d’Engloo ils voient déboucher brusquement des uhlans et des fantassins allemands qui les somment de s’arrêter, beaucoup courent pour s’échapper car les goumiers sont à proximité. Mes deux jeunes gens se couchent dans u fossé pendant que les allemands tirent dans le tas.
La journée se passe en combats violents au-dessus de leur tête et le soir, profitant de l’obscurité ils reviennent sur Lille et Roubaix où ils arrivent exténués.
Dans la journée nous apprenons que le fossoyeur d’Erquighem-le-sec a enterré 17 cadavres de jeunes gens tués, il a pris leurs noms.
Nous savons également qu’il y a un nombre considérable de prisonniers civils évacués sur Douai. C’est pitoyable, il n’y a autour de nous que gens angoissés en pleurs, anéantis : les colères grondent contre les autorités. On dit qu le Préfet avait eu cet ordre depuis mardi matin mais qu’il ne trouvait ni utile ni urgent de le transmettre… des femmes veulent aller à Lille lui faire un mauvais parti. Le journal de Roubaix paraît sans communiqué officiel, sans not sur ce qui se passe sur Lille ou ailleurs, nous sommes bien inquiets et nous félicitons d’avoir fait partir Jean dans de bonnes conditions.
Mais bientôt nous apprenons des choses bien plus terrifiantes, en déjeunant M. Craveri, qui nous reçoit nous conte l’Odyssée de M. Eug. Motte.
Parti en auto samedi, hier, vers une heu à Lille avec sa petite voiturette il était à 4 heures sur la grand’place de Lille quand il voit arriver des cyclistes allemands.
Ces gens traversent la place et se dirigent vers le nouveau Boulevard, mais au débouché du Boulevard Carnot, ils se heurtent à un parti de goumiers qui les charge, et tire sur eux.
M. Motte, n va pas chercher son auto, il part et comme les goumiers et les allemands se battent dans la direction de Mons et du nouveau Boulevard, il se dirige vers la Madeleine. Au moment où il se dirige vers l’église une violente canonnade se fait entendre, il est 5 heures des obus tombent sur la route écornent des maisons.
Na sachant ce qui va advenir il continue sa route à pas accéléré, il arrive vers Roubaix sain et sauf. Melle Butruille qui était partie à Lille prendre des nouvelles de Madame Wagnier, une bombe étant tombée à 10 mètres de sa maison, (bombe lancée d’un aéroplane sr l’hôtel des postes dans la matinée) revient aussi par cette même route du car F. Il y a là cinq ou six roubaisiens qui en groupe reviennent à Roubaix avc bin des émotions.
Après le déjeuner nous sortons : sur le boulevard de Paris des masses de curieux, mais peu osent avancer car dans le lointain on entend le canon et l’on se demande ce qui va se passer. Au bas du Barbieux nous rencontrons M. Faulkner, du peignage Holden,qui nous dit qu’hier ils sont arrivés en colonne compacte par le pavé bleu et se sont dirigés par Croix sur Quesnoy. Le matin un certain nombre de cavaliers sont venus repérer la route, ils ont stationné deux heures entre la planche Epinoy et chez lui. Nous continuons la oute vers Lille. Nous rencontrons M. Léon Pollet qui nous dit que les arbres sont marqués, il nous en montre un… vérification faite c’est le seul qui soit maqué et l’on peut se demander si ce n’est pas un cheval qui l’a grignoté.
A la planche Epinoy un bruit d’aéroplanes… nous voyons un taube passer lentement sur le bois de la Fontaine, il descend au fort de Babylone.
A la hauteur de Wasquehal, « au pavé de Wasquehal » nous apercevons au loin sur la route des bottes de paille qui ont servi aux hommes, ils étaient sous le po
Une brave femme nous raconte qu’ils sont arrivés à 4 heures, ils se sont installés le long du pavé, les canons tournés sur Lille : ils ont fait rentrer les gens chez eux très poliment, mais des fenêtres on les voyait.
Puis à 5 heures les canons se sont mis à tirer sans hâte, un cycliste est arrivé et ils ont cessé l feu. L’emplacement n’était pas propice, le bombardement a été opéré par une autre position. Les artilleurs se sont répandus dans les maisons voisines, ils ont pris des vivres qu’ils ont payées.
Les officiers ont fait ouvrir quelques maisons où ils se sont installés pour la nuit, ils n’ont fait aucun dégât et sont partis à 6 heures du matin. Ce sont les traînards civils, voisins des environs qui ont pénétré dans les maisons et fait un pillage en règle.
La canonnade est si effrayante que vraiment il n’est plus prudent d’avancer. En revenant nous rencontrons un homme qui nous montre un casque pris sur un mort aux portes de Lille : il porte un W, c’est un Wurtembourgeois.
Il y en a qui racontent que les Allemands sont si déprimés qu’ils veulent se rendre… des uhlans, paraît-il ont jeté armes et lances dans le canal…
En rentrant nous sommes, en haut du Boulevard de Paris, interrogés par un rédacteur du Journal de Roubaix qui n’a pas osé aller plus loin.
Lundi 12. Je crois qu nous sommes les seules personnes e Roubaix ayant dormi, toute la ville à été tenue en éveil et en émoi par la canonnade, nous avions tant marché que nous pouvions dormir.
L matin nous avions une messe dite pour le pauvre Léon : nous sommes tous bien attristés… les vitres de l’église tremblent tant la canonnade est terrible. Je suis bien effrayée et me demande ce qui va se passer.
M. de Marcilly, administrateur de l’Epeule et que, d’après le dire de M. Paul Jonville je considérais comme démissionnaire arrive de bonne heur à la Croix-Rouge et une scène du plus haut comique se déroule.
M. de Marcilly, gros, petit, 68 ans, blond blanc ou plutôt blanc blond comme on voudra car il a été blond roux et est décoloré, très froussard… sa femme aussi.
Il proteste de son dévouement à la société, dit qu’il ne donne pas sa démission etc… et alors moi qui sais que je ne peux pas compter sur lui et qui veut cette démission : « Il est bien entendu que vous restez à votre post, je vous remercie du témoignage d’attachement à la Croix-Rouge que vous venez de m’apporter et je vous prie de regagner de suit votre ambulance et de veiller à ce que les blessés ne se sauvent pas devant l’ennemi qui nous entoure, ils pourraient être tentés de s’évaer et vous n’ignorez pas combien ce serait grave pour tous et en particulier pour vous. Le frère de Me Achille Delattre n’a dû son salut qu’à la fuite dans une circonstance moins grave puisque ce sont les fiançais qui ont enlevé de leur ambulance les blessés français et anglais : néanmoins le commandant allemand allait le faire fusiller quand il a eu une escarmouche, le commandant a dû quitter et Monsieur… en a profitépour se sauver (l’histoire est authentique) 3 Tête… attente… puis après un jeu de physionomie impossible à traduire il me rend cate t brassard-« J’aime mieux me retirer… (énergiquement)… rendez-moi ma carte, je reste, vous pouvez compter sur moi.
Il part… arrivé au bout du vestibule il s’arrête puis réfléchit et revient : « Bon tenez, voici ma carte » Je la reprends, je lui dit que c’est plus sage, qu’il a bien raison, que personne ne saura qu’il a démissionné, qu’avec sa santé c’st plus prudent « Oui, oui, me dit-il mon cœur ne va pas »
Il part, même jeu « rendez-moi ma carte, je reste ». Je la lui rend, ne voulant la tenir que de son propre gré.
« Monsieur de Marcilly, je suis très heureux de votre décision, je vous en félicite, il reste bien entendu que je puis compter sur vous en toute circonstance, que vous vous engagez d’honneur à être là en cas d’occupation allemande pour administrer au mieux de nos intérêts l’ambulance qui vous est confiée. Vous devez aussi, en cas de bombardement ou de bataille dans les rues vous retrouver à votre poste pour défendre et soigner les blessés au fur et à mesure qu’on vous les apportera—« Vous croyez qu’on se battra dans les rues ? »-- Mais c’est sûr mon cher Monsieur, voyez donc comme cest facile de défendre une ville comme celle-ci, on se met dans les maisons et on tire sur tout ce qui passe ». ……… verdissement progressif, puis figure blanche. « Je ne peux pas, mon cœur… mes jambes… ma santé… ne me permettent pas. – Allons, ne vous frappez rendez-moi votre brassard, j’aime mieux ça : je serais désolé si, après avoir voulu rester chez vous il vous arrivait un accident on est si vite fusillé par ces gens là et que je puisse me dire que sans mon intervention à vous faire rester à l’Epeule vous ne seriez pas mort » Il me remercie avec effusion et s’en va… et une heure après la scène recommence.
Elle eut lieu sept fois. M.M. Pollet et Dautremer d’une part, M. Watine d son côté étaient obligés de fuir en le voyant tant le fou rire les prenait, car si ces transactions avaint lieu d lui à moi, nos portes étant ouvertes ils entendaient nos entretiens.
Enfin il m’a débarrassé de sa personne et M. Goffin a été mis à sa place.
Les portes de Lille sont toujours fermées. On voit du Barbieux, de la place du Trichon, de la Gare, du bas de la rue de Lille des tourbillons de fumée monter vers le ciel en masses compactes.
On dit que c’est la cotonnière de Hellemmes qu’ils ont incendié : d’autres prétendent que ne pouvant occuper Lille ils brûlent les faubourgs… C’est une version terrifiante… que de souffrances à deux pas de nous.
Le soir la fumé et les lueurs sont extraordinairement grandes. Nous allons chez les Craveri à 9 heures pour tâcher de leur grenier voir mieux. C’est effrayant, il y a là des masses de bâtiments qui brûlent : ce sont ou la cotonnière ou Brabant qui brûlent, eux seuls sont assez importants pour produire un tel effet. L’édition du soir du Journal de Roubaix annonce que les Allemands sont repoussés autour de Lille et d’Arras…
Une patrouille de uhlans à Croix, sur le nouveau Boulevard, devant les tranchées du Croise-Laroche, des autos mitrailleuses sont braquées dans la direction de Lille.
Mardi13. Le canon a été très violent cette nuit, mais il nous semble moins proche. Le journal de Roubix donne des communiqués officiels du 9 qui n’étaient pas parvenus. La lutte continue sans que la fin puisse se prévoir.
Le journal donne des détails sur le bombardement de Lille.
Les habitantsont passé la nuit de dimanche à lundi dans leurs caves : on tirait sur la gare, la préfecture et la Mairie.On signale ds dégâts importants rue de Molinel, rue de la Gare, rue de Paris, dans les rues du Centre, rue des Buisses… personne ne peut aller à Lille, les routes sont gardées.
Grande bataille aux environs de Gand : Anvers est sur le point d céder.
L’édition du soir raconte les impressions d’un lillois resté 48 heures dans sa cav… c’est navrant.
Nous sortons à 8 heures Yvonne et moi. Sur le Boulevard c’est une procession de gens venant de Lille, gens portant des paquets, emmenant des enfants sur des baladeuses etc… ce sont des gens qui fuient la ville n feu… rien n’est plus impressionnant. Leurs récits sont incohérents, ces gens sont fous, ils bafouillent, on sent qu’ils ont passé leurs forces.
Une femme paralysée sur baladeuse tient sur elle ses malheureuses hardes… tous ces gens n’ont qu’une seul chose à dire « si vous saviez ce qu’il fait chaud dans les rues, on en est grillé, cette chaleur les a impressionnés plus que tout.
Ce qui me frappe le plus c’est cette odeur de brûlé qui vous prend à la gorge, c’est intolérable. Que sont devenus ceux que nous connaissions là-bas, cette pauvre Madame Christ qui ne peut faire un mouvement… tout cela est angoissant. Madam Kuntz tremble pour sa sœur, car de toute part l feu a pris… on s’attend à chaque instant à voir arriver quelqu’un de connaissance.
L’HÔPITAL MILITAIRE DE LILLE,
PENDANT LE BOMBARDEMENT
C’est le samedi 10 Octobre que la ville de Lille, et l’hôpital militaire en particulier, commence de connaître véritablement les horreurs de la guerre.
Ce matin là, vers 10 heures, nous apprenons à l’Hôtel de Ville, l’arrivée d’une patrouille allemande qui s’informe si Lille s ville ouverte et si l’on peut héberger 10.000 cavaliers. Elle ne reste qu’une demi-heure, revient l’après-midi où elle tente de prendre la Maire en otage, mais se dérobe, poursuivie et décime par nos chasseurs à cheval et nos goumiers. La fusillade d’un combat dans les rues terrorose la ville. Le canon qui grondait au loin de l’aube soudain se rapproche, enfle sa voix.
Puisse-t-il être le nôtre pense chacun à part soi, comme il calmerait nos inquiétudes….
Est-ce le nôtre Monsieur le Médecin chef ? -Le Médecin chef qui fait sa tournée dans l’hôpital, sourit à notre question. Nous comprenons qu’il a déjà reconnu le canon allemand à son « BOUM » sourd. Il est 17 heures ½. A peine quittons le médecin chef que, brusquement éclate une détonation effroyable ; un projectile explose au-dessus de l’hôpital, criblant les toits et la cour de la cuisine d’une pluie de shrapnells et de fragments d’obus. Devant l’imprévu de ce bombadement qu’aucun avis préalable n’a laissé présentir, un étonnement nous saisit, nous paralyse à peine une seconde. L’éclair d’une décision, des commandements secs en coups de fouet, un roulement sourd de pas précipités à travers l’escalier. Un ordre domine, bref : INFIRMIERS. TOUS LES BLESSES ET LES MALADES EN BAS….
A peine le médecin chef s’est-il fait entendre que nous voyons tout le personnel de l’hôpital, dames de la Croix-Rouge, médecins, pharmaciens, malades et blessés descendre de 1° - 2° - 3° étages, les moins facilement transportables.
En moins de vingt minutes, par un véritable tour de force, et dans un silence impressionnant, on parvient à les mettre tous en lieu sûr, les uns dans les ces, les autres dans les rez-de-chaussée, salle A où ils sont à l’abris, sinon d’un incendie possible, du moins des projectiles.
Bombardement de /4 d’heure qui cause en autres dommages, des bris de vitres aux salles 5 – 11 et 15 et nous laisse le souvenir d’inoubliables tableaux ; ici, dans la demi obscurité d’une cave, un blessé allemand couché sur un matelas tremble, on lui tend une couverture dont il s’enveloppe, serrant avec ferveur les doigts de la main secourable, il sanglote et balbutie des remerciements ; là repose une pauvre figure émaciée et livide, un typhique qu’on a trouvé assis sur son lit dans la salle d’isolement, poussant des cris d’épouvante à la vue des trous faits dans les vitres par les shrapnells.
C’est notre première nuit dans le labyrinthe immense des caves et nous passons à veiller sur le sommeil agité de nos malades et de nos blessés.
Après tant d’émotions, le dimanche 11 octobre ne doit pas nous apporter le repos dominical. On annonce le matin, que, si le libre séjour dans Lille, n’est pas accordé aux allemands, la ville sera bombardée à partir de 9 heures. Nous nous tenons prêts à toute éventualité. De sages précaution sont prises, entre autres, pour éviter les explosions, on éloigne de l’hôpital tous les produits volatils et inflammables, 2.000 litres d’essence pour autos, qui servent aux transport des blessés sont mis sous barque, sous un pont du canal de la Deule, 250 litres d’éther sont enterrés dans le jardin à un mètre d profondeur.
Dès 9 heures ¼ une cinquantaine d’obus tombent. L’un d’eux éclate dans la cour d’honneur, un shrapnell, trouant une vitre du couloir devant la porte de la pharmacie, va s’encastrer dans le mur de la tisanerie, un autre pénètre parla croisée dans le mur du médecin chef. L’après-midi le canon semble s’éloigner, un peu de confiance renaît, quelques uns vont prendre l’air au jardin par les allées où rit un pale soleil d’automne, où le vent joue parmi la rouille et l’or des feuilles mortes tombées des ormes et des marronniers. Dans la soirée le bruit court que l’ennemi s’est replié abandonnant 4 canons. Nous goûtons d’avance en esprit la douceur d’une trêve propice, par une nuit que nous voulons espérer calme. Mais notre attente est bientôt déçue. A 21 heures des feux de salve éclatent vers la gare, mêlés au bruit de crécelle des mitrailleuses qui font rage sur les remparts dans la direction de Fives. Le canon renaît et tonne de plus belle semant la mort et la dévastation ; il poursuit implacablement jusqu’à 1 heure du matin son œuvre infernale.
Assommés de fatigue, nous allons nous reposer un peu sur notre matelas, au fond des caves sobre, entre nos malades et nos blessés, quand un brouhaha nous éveille.
A voix basse, des officiers d’administration de garde parlent d’un feu terrible qui s’est déclaré vers la ue e Béthune, de fait, par les soupiraux, nous voyons des fumées glisse au ras des toits, sous un pan de ciel rouge les allemands lancent des obus incendiaires.
On ne perd pas son sang-froid. On avise aux mesures les plus urgentes et commandées par la gravité du péril ; En présence du fléau pouvant se développer le médecin-chef fait évacuer dans les caves tous les malades et blessés qui se trouvent salle A, à l’abris des projectiles mais non du feu. On installe la pompe à incendie. Des infirmiers allant chercher des tuyaux sous le hangar aux autos, remarquent dans la cour, derrière le dépôt un trou de 1 mètre de diamètre sur 40 centimètres de profondeur ; ils y ramassent le culot d’un obus qui a traversé la toiture et l’imposte de la baraque d’isolement. Le reste de la nuit nous le passons à écouter un grondement sourd, suivi de craquements sinistres qui ressemblent à des coups de feu. Un immense incendie ravage la rue du Molinel, la rue du Vieux Marché aux Moutons et la Place Richelieu. Après les affres de cette nuit mortelle que peut bien nous réserver la journée du lundi ?...
Ce jour-là dès 3 heures du matin, la canonnade sévit, assourdissante, paraissant prolonger son écho diabolique jusqu’au fond de notre âme.
Perdu en son angoisse comme dans un abîme, chacun prête cependant l’oreille au sifflement de notre 75 qui, par instant, répond. Héla… il n’a pas le dessus, on le sent à la furie progressive et impitoyable de l’autre. Un vent de folie, un vertige de destruction semblent tourbillonner sur l’armée ennemie, déchaînant autour de nous une rafale de fer et de feu. Lutte terrible de l(homme contre l’homme… Affreux silence des sentiments… O… choc épouvantable des civilisations… Qu’étaient les siècles de la barbarie médiévale où les temps sombres de la préhistoire, auprès des scènes d’horreur que nous verrons tout à l’heure.
Quand ces bouches démoniaques se tairont-elles ? Depuis 12 heures elles crachent sans répit la mitraille, communiquant au sol des tremblements pareils à des secousses volcaniques. Quand pourrons-nous remonter à la lumière ? Nous sommes près de 500 à l’hôpital qui aspirons à quitter le séjour humide des caves. Dans l’obscurité d’une galerie, sortant d’un demi sommeil où l’accablement l’a fait glisser, une voix questionne :
Quelle heure est-il ?
Quatre heures.
Quatre heures… du matin ?
Non quatre heures de l’après-midi.
En effet il est quatre heures de l’après midi, mais comment se rendre compte de la marche du temps dans la nuit de nos souterrains. Nous venons d’apprendre qu’un parlementaire s’est présenté dans la matinée à l’hôtel de Ville et qu’il n’a pas été reçu. On a compté, mais vainement parait-il sur une arrivée de renforts pour nos 15 à 1800 combattants, qui soutiennent héroïquement depuis trois jours l’attaque d’un fort contingent allemand. Cependant le soir tombe, et l’ouragan d’acier redouble de vigilance, propageant les ruines et la dévastation. De vives fusillades s’entendent aux portes de la ville. Grâce à l’héroïsme des cuisiniers, que le danger n’a pas chassés de leur poste, nous avons pris quand même des aliments chauds, dans le clair obscur des caves, ceux-ci faisant d’un tonneau leur table, ceux-là à califourchon sur un banc, d’autres assis sur le traversin de leur couche rudimentaire. Qui de nous gardera le poignant souvenir d’un groupe qui pleure autour d’un repas délaissé ?
Tout près d’un paravent, derrière lequel montent des plaintes, les mots entrecoupés d’un blessé qui délire et demande à boire. Ch… le fracas des obus rythmant le mal qui le lancine… Une infirmière s’empresse à son chevet : « Que veux-tu mon petit ? Un flot de paroles claires sort de ce pauvre corps en détresse » -Ils n’ont pas d’entrailles les docteurs Madame, ils me refusent tout, je meurs de soif, je meurs de faim, mon Dieu que je souffre. »
Puis plus bas, d’une voix qui coule entre 2 hoquets, pareille à la mélopée d’un ru sur les cailloux, ces mots hallucinants tombent mélodieux comme le chant d’un cygne, avec la douceur triste d’un écho qui s’éteint : « Ah… je vois… je vois. ;; Ah… je veux, je veux des fruits d’or. » Et le vicomte de Moncabrier, le ventre traversé d’une balle se meurt d’une péritonite. Son âme de héros s’enfonce dans la nuit. Est-il besoin de dire que la sollicitude dont nos blessés et malades étaient entourés dans les salles, ils la retrouvent sous les voutes en plein cintre, entre les lourds piliers romans des caves.
Date de dernière mise à jour : 03/05/2020
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